Trilogie Millenium de Stieg Larsson

Comme vous pouvez le voir dans la section « genres » de ce blog, je ne lis pas de policiers ou de thrillers. Je veux des histoires qui font rêver, alors les scénarios de meurtres où je ne peux aimer aucun des personnages secondaires car ils risquent d’être coupables, ce n’est pas ma tasse de thé. Je ne m’étais donc jamais intéressée à Millenium de Stieg Larsson, même si les adaptations passaient souvent à la télé. Lorsque je me suis tournée vers des livres LGBTI+, j’ai été intriguée de le voir encore parmi les recommandations, mais pas assez pour qu’il me tente.

Puis je l’ai vu dans la très courte liste Goodreads des livres polyA, alors je l’ai emprunté et je me suis lancée dans sa lecture.

personne en rouge lisant Millenium 1 : Les Hommes qui n’aimaient pas les Femmes de Stieg Larsson derrière une grille
Millenium 1 : Les Hommes qui n’aimaient pas les Femmes

C’est un polar : dès le début, je n’étais pas emballée. Mikael, journaliste économique, cherche des preuves de l’escroquerie d’un grand industriel suédois. L’histoire était intéressante, mais le style affligeant me rebutait : très factuel, avec des listes d’actions de type « il se leva à 8h et acheta son croissant ». J’en ai rien à faire, moi, de son croissant !!

Un autre industriel décide d’aider Mikael à la condition qu’il résolve un meurtre, mais avant de l’engager, il demande à Lisbeth, une hackeuse, de vérifier qu’il est digne de confiance. C’est ainsi qu’on rencontre le personnage le plus intéressant du livre.

Diagnostiquée « malade mentale 1 » – oui, c’est peu précis – et mise sous tutelle, elle n’hésite pas à se venger de ceux qui lui font du tort. Je me suis vraiment investie dans le personnage, surtout quand elle se retrouve sous la tutelle d’un avocat abusif.

Dans les policiers, ce sont les scénarios qui sont censés être passionnants, l’énigme à résoudre. Sauf que j’ai deviné quelle était la solution… sans me baser sur des indices, mais simplement parce que ce serait le scénario le plus surprenant. Et du coup, je n’ai pas été étonnée…

J’ai malgré tout été prise par l’histoire à partir de la moitié, m’interrogeant sur les circonstances du crime, m’inquiétant pour les personnages. J’avais du mal à lâcher le roman !

Ça reste un policier, dans un style narratif que je trouve très rébarbatif, mais même si j’ai deviné la fin, le scénario est bon et Lisbeth est extraordinaire. J’avais hâte de la voir davantage.

personne en gilet à spirales lisant Millenium 2 : La Fille qui Rêvait d’un Bidon d’Essence et d’une Allumettede Stieg Larsson assise sur des escaliers
Millenium 2 : La Fille qui Rêvait d’un Bidon d’Essence et d’une Allumette

Comme je l’avais résolu, j’ai donc enchainé sur le tome 2. J’ai constaté à cette occasion que la 4e de couverture se « vante » que l’auteur soit mort juste après avoir déposé les manuscrits. J’imagine que niveau marketing, ça donne un petit côté extraordinaire, mais ça m’a surtout expliqué pourquoi c’était aussi mal écrit.

Ceci dit, à part un léger agacement face aux descriptions inutiles du début, je suis très vite entrée dans l’histoire de La Fille qui Rêvait d’un Bidon d’Essence et d’une Allumette. J’ai enfilé la moitié en une après-midi !

On retrouve Mikael un an plus tard, qui aide à publier l’enquête d’un journaliste sur le trafic sexuel. Mais celui-ci est assassiné… J’étais ambivalente par rapport au sujet : d’un côté, on dénonce la corruption des politiques, d’un autre je trouvais dommage que ça s’intéresse très peu aux victimes, et le travail du sexe est condamné sans distinction. J’ai lu plus récemment Le Colis qui dénonce le trafic humain sans critiquer le travail du sexe, donc je sais que c’est possible, et Millenium échoue à ce niveau-là.

Bien vite, l’intrigue cesse d’être politique pour qu’on revienne dans un policier classique : il ne s’agit plus de démanteler un système, mais de trouver le Grand MéchantTM à l’origine à la fois du trafic sexuel et de la corruption des élites. Ça m’a déçue, mais pas au point de me sortir de l’intrigue : mon personnage préféré, Lisbeth, est mêlée à tout ça. Accusée du meurtre, c’est l’occasion d’en découvrir davantage sur son passé. Le scénario était moins prévisible que celui du tome 1 et l’enquête passionnante à suivre !

Le tome 1 avait des velléités féministes appréciables, mais on sentait que c’était l’œuvre d’un mec pas très déconstruit non plus, puisque tout tournait autour de son héros très banal mais séduisant toutes les femmes qui passent.

Ici, ça s’est nettement amélioré ! Mikael passe à l’arrière-plan et les points de vue variés permettent un propos plus nuancé. Par exemple, Erika, son amante, constate avec dépit qu’alors que Mikael est décrit avec bienveillance comme un « homme à femmes », elle-même est critiquée pour sa relation durable et fidèle avec deux hommes parfaitement consentants.

On voit aussi comment policiers et médias font la passerelle entre ce qu’ils voient comme un détraquage sexuel – une lesbienne kinky ayant de multiples partenaires – et « meurtrière en série ». Les biais personnels influent sur leur attitude professionnelle, et comme ils ont tous les pouvoirs, ça dérape ! Preuves ou non, Lisbeth passe de suspecte à coupable dès que les policiers voient qu’elle a été internée en hôpital psychiatrique.

personne en chemise asymétrique lisant Millénium 3 : La Reine dans le Palais des Courants d’air de Stieg Larsson devant une rangée oblique de rochers
Millénium 3 : La Reine dans le Palais des Courants d’air

On reprend directement après le cliffhanger du tome 2, en plein suspense, avec deux personnages aux portes de la mort. Tout l’enjeu de ce tome sera le procès de Lisbeth et la lutte contre la « Section », un groupuscule d’agents secrets prêts à tous les abus pour protéger l’un des leurs. C’était passionnant de suivre le chassé-croisé entre les enquêteurices et la Section.

Le livre est plutôt nuancé : il ne dénonce pas directement, mais les antagonistes ont un profil distinct. Alors que d’autres agents secrets considèrent les nazis comme des ennemis d’état, que Lisbeth valorise les anarchistes, pour les membres de la Section, la gauche est l’unique ennemie, et insultes sexistes et homophobes sont au rendez-vous.

J’avais lu cette trilogie pour la représentation polyamoureuse, et, initialement, j’ai été déçue que les multiples relations de Mikael soient uniquement sexuelles. C’est un cliché du polyamour, et j’étais irritée de le retrouver. Mais depuis ma lecture du premier tome, j’ai découvert des représentations très variées, et j’ai donc moins besoin que chaque livre corresponde à mon expérience personnelle. Au contraire, je pouvais apprécier, à ma lecture des tomes 2 et 3, que ce soit différent. On voit d’ailleurs à quel point Mikael aime Erica, sans que ça soit romantique.

Je trouve toutefois dommage que Lisbeth devienne soudain mono et jalouse en rencontrant Mikael – ce n’est pas du tout cohérent avec son personnage – et que la fin sous-entende que Mikael va se mettre en couple exclusif avec quelqu’un qu’il vient de rencontrer. Sachant que son mariage a échoué parce qu’il ne pouvait pas se passer d’Erika, ce n’est pas très logique, et c’est dommage d’idéaliser la romance mono au point d’en oublier la cohérence des personnages.

couvertures de Millenium un à trois

Millenium traite de psychophobie de manière détaillée, et là aussi, mon ressenti a évolué au fil des tomes. Le premier dénonce bien la psychophobie systémique : notamment, l’avocat est abusif non pas parce qu’il est méchant, mais parce qu’il sait que la société ne protégera pas Lisbeth.

Dans le deuxième, les hôpitaux psychiatriques et la psychiatrie en général sont condamnés, leurs méthodes étant comparées à celles de tortures interdites par la convention de Genève.

Cependant, je regrette encore une fois que tout soit finalement placé sur le dos de quelques individus corrompus répondant à « un grand méchant », et visant une personne en particulier, alors que c’est en fait un problème systématique. On sacrifie le message au profil d’une intrigue plus classique avec un antagoniste distinct…

Le tome 3 se concentre sur le diagnostic erroné de Lisbeth, ce qui peut être intéressant : j’avais aimé Ultraviolet qui montrait les mécanismes oppressifs conduisant à ce genre d’abus. Ici, ce qui renforce l’opinion selon laquelle Lisbeth est « folle », c’est qu’elle refuse de parler, qu’elle sort des normes. Quand on sait que la psychiatrie a condamné l’homosexualité, la transidentité et bien d’autres sur ce critère, je trouve la situation de ce roman très réaliste.

Mais la dénonciation d’un médecin maléfique retire toute critique du corps médical et de la société en général, pour présenter ce diagnostic erroné comme une machination plutôt que le résultat de la psychophobie. Et du coup, la raison pour laquelle le traitement de Lisbeth était horrible semble être qu’elle ne soit pas « réellement folle ». Est-ce que ça voudrait dire que les personnes diagnostiquées correctement méritent ce que le tome précédent décrivait comme de la torture ?

Un élément qui m’embête beaucoup est que tout au long de l’intrigue, Mikael et la plupart des personnages associent maladie mentale et cruauté, que ce soit pour quelqu’un qui harcèle Erika, les membres de la Section qui tuent, ou encore le psychiatre abusif. Lisbeth est la seule qui rappelle :

« Ce n’est pas un tueur malade […]. C’est simplement un fumier ordinaire qui hait les femmes. »

Le comportement des médias et des policiers est dénoncé, tout comme son diagnostic abusif… et pourtant, Mikael, dans ses publications, traite ses adversaires de la même manière que Lisbeth a été traitée, en leur apposant des diagnostics qui servent à les diaboliser.

Est-ce volontaire de la part de l’auteur de montrer cette absurdité qui me semble bien réaliste ? Après tout, il avait été subtil au niveau du sexisme et de l’homophobie… ou alors, est-ce une incohérence, comme pour le polyamour ?

Difficile à dire, et je trouve ça irritant. Les personnes avec des maladies mentales sont plus susceptibles d’être victimes de violence, et les clichés les présentant comme dangereuses nuisent à leur sécurité. Et c’est blessant d’être considéré·e comme maléfique ! Il y a des termes bien plus pertinents pour désigner des meurtriers.

couvertures des BD et films et des suites de Millenium

Il y a eu des adaptations en films, en BD, et une suite écrite par d’autres auteurs !

Après avoir lu le tome 1, mon aversion pour les thrillers était toujours présente. C’était donc ça, un thriller apprécié par les adeptes du genre ? Prévisible, au style rébarbatif et aux thèmes traités de manière bancale ? Eh bien, ce n’était pas pour moi.

Par la suite, même si le style reste très terne, il y a davantage d’actions intéressantes et moins de consommation de croissants ! Les tomes 2 et 3 m’ont montré que je pouvais apprécier ce genre littéraire, et je suis finalement intéressée par le fait d’en lire de temps en temps.

Avertissements : viols décrits en détail, violence générale, queerphobie, psychophobie, enfermement en hôpital psychiatrique


1 Tout au long de l’intrigue, ce sont des termes imprécis et insultants qui sont utilisés pour désigner Lisbeth ou d’autres personnages.

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