J’ai entendu parler du tome 1 de Magic Charly d’Audrey Alwett sur le blog de Mistikrak : le livre semblait correspondre à ce que j’aimais. Je ne connaissais pas du tout Audrey Alwett – j’ai lu Le Grimoire d’Elfie depuis, et je la rencontrerai peut-être prochainement – mais je suis toujours motivée pour découvrir des autrices francophones : la plume a souvent quelque chose de spécial, et lire des aventures magiques dans un décor que je connais, c’est génial !
La trilogie Magic Charly nous transporte dans un univers merveilleux : Charly découvre que la magie existe et qu’il existe une société secrète de magicier·es, dans la ville bretonne de Thadam. Ce monde est exactement comme je les aime : il fait rêver. Déjà par ses éléments : des tartes à la crème qui poursuivent leur victime, des bougies dont le parfum rappelle son chez-soi, des noix qui exaucent des vœux, des maisons ambulantes… c’est si magique et merveilleux, ça donne envie d’y être ! Je voulais toujours en découvrir plus sur l’univers, que ce soit une nouvelle créature, une nouvelle recette ou un nouveau lieu.
J’avais un peu oublié, mais c’est ce que je préférais, quand j’étais au collège. Quand j’inventais mes propres histoires, je passais des heures et des heures à imaginer l’architecture, les vêtements ou la nourriture. Pour un monde de sorcières, j’avais inventé des « cornes du diable » − des croissants à la confiture de framboise rouge comme un diable. J’avais adoré les boissons gazeuses inversées du Bon Gros Géant, et j’avais écrit un jus pétillant, dont les bulles contenaient des parfums différents. Je ne connaissais pas encore le Bubble Tea…
Maintenant, j’ai tendance à lire des histoires où les univers sont moins concentrés sur l’émerveillement. J’étais impressionnée par Warbreaker, dont la culture est cohérente, originale, et sert l’intrigue ! Mais il n’y a rien qui met des étoiles dans les yeux et un sourire aux lèvres. L’univers de Magic Charly, lui, est rempli d’éléments qui font rêver.
L’écriture ornementée renforce cet aspect merveilleux. Il y a beaucoup de personnifications – eh oui, je me souviens de mes cours de français –, du coup, même quand un objet n’est pas vivant, on a l’impression qu’il l’est. Mots-valises, jeux de mots, néologismes, la créativité de la plume participe à une ambiance magique.
« On était encore tôt, mais déjà, la lumière dorée si particulière du sud de la France nappait les bâtiments comme des croissants embeurrés, tout juste échappés du four. Du linge séchait d’une fenêtre à l’autre, entre les volets gris-bleuté, qui s’ouvraient sur la journée comme des paupières mal réveillées. Le beffroi en fer forgé de la mairie faisait frileusement sonner sa cloche aigrelette et les montagnes qui découpaient l’horizon de leurs mâchoires hésitaient à se débarrasser de leur couverture de brume. L’automne s’avançait sur la pointe des pieds, de peur de déranger. »
Cependant, la société des magicier·es est un cauchemar ! Les quarante Académicien·nes règlementent tout : chaque personne a un sablier lui attribuant une quantité limitée de magie à dépenser – qui dépend du niveau académique –, les runes sont consignées dans un dictionnaire, et gare à celleux qui pratiquent une magie non-autorisée ! La milice est toute-puissante.
De plus, cette société s’appuie en grande partie sur le commerce de souvenirs, dont la consommation permet la magie. Non seulement ils se vendent, mais l’Académie les retire aux contrevenant·es. Les magicier·es échouant dans leurs études sont condamné·es à oublier la magie…
Charly débarque dans cet univers lorsque les souvenirs de sa grand-mère sont dérobés par le Cavalier, Allégorie de la mort qui obéit à l’un des Académiciens. Il fera tout pour essayer de les lui rendre ! Il pourra compter sur Sapotille, jeune apprentie magicière, ainsi que sa meilleure amie June.
L’univers comme la société de Magic Charly permettent d’établir une métaphore écologique plutôt réussie. Du moins, c’est ce que je comprends de la tension autour de la raréfaction de la magie ! Celle-ci est en effet une ressource limitée, et il y a de plus en plus de pannes. L’Académie impose des restrictions – journées où la magie est interdite, sauf pour la milice et pour les élites – ainsi que des impôts en magie… faisant que les personnes auxquelles on attribuait déjà peu de magie se retrouvent totalement dépourvues.
Je trouvais vraiment bien de montrer qu’on n’était pas égaux face à la raréfaction d’une ressource : les riches et puissant·es gardent la mainmise dessus tandis qu’on encourage – voir oblige – les plus démuni·es à se restreindre pour le bien commun.
Mais surtout, Magic Charly met en valeur qu’économiser ne suffit pas : c’est le système entier qu’il faut revoir. La commercialisation des souvenirs est dénoncée, ainsi que l’interdiction de la magie intuitive. Celle-ci est une magie collective et libre, que l’Académie ne peut pas détecter. Alors qu’elle produit de la magie, elle est honnie car le pouvoir en place ne peut la contrôler.
Pour cesser d’épuiser la magie, il faudrait changer le système commercial, et que le gouvernement renonce à contrôler cette ressource… voilà le programme ambitieux auquel les rebelles s’attaquent. Un peu trop ambitieux, et le roman en a conscience : on ne peut pas changer à ce point un système en moins d’un an, aussi se concentre-t-on sur les exactions de l’Allégorie de la Justice. Ce qui permet, au passage, de dénoncer des abus judiciaires !
Charly est un excellent héros, qui change de ce dont j’ai l’habitude. C’est un garçon à la fois sensible et charmeur, notamment parce qu’il sait que comme il est noir et très grand, les gens le trouvent intimidant et agressif. Il réprime beaucoup ses sentiments afin de toujours faire preuve d’une grande politesse et de ne pas se mettre son entourage à dos. Il apprendra au fur et à mesure à davantage accepter ses émotions, tout en gardant une bienveillance qui fait chaud au cœur.
J’avoue n’avoir pas accroché à la romance, notamment parce que la plume ornementée ne s’y prêtait pas trop pour moi. Elle est parfaite pour les courses épiques de citrolles ou la description d’un jardin magique, mais les envolées fleuries de romantisme n’étaient pas trop à mon goût.
Sapotille était intéressante, même si j’ai trouvé son arc autour du consentement un peu gros sabots. Mais peut-être que c’est bien d’être claire, dans une série jeunesse ! On aborde de manière très directe un grand nombre de nuances – le slutshaming, l’importance de demander, la difficulté à connaître ses désirs après une expérience traumatique, la difficulté à dire « non » après qu’un « non » n’ait pas été respecté, le fait que la romance ne « sauve » pas… j’ai même retrouvé un exercice qu’un·e de mes ami·es pratique !
Le tome 2 révèle l’intersexuation et la transidentité de l’un des personnages, malheureusement de manière maladroite. C’est d’autant plus dommage que n’importe qui ayant zéro information sur les enjeux queer aurait pu voir que c’était une mauvaise scène : c’est comme quand une narratrice espionne une conversation de type :
« Personnage A : figure-toi qu’on est des sorcières !
Personnage B : haha, mais pourquoi tu me dis ça ? Je le sais ! »
La scène queer est de ce type-là : c’est un outing qui passe par un mégenrage accidentel, et d’autant plus insensé que tout le monde a toujours utilisé le bon genre.
Le tome 3 rattrape cette catastrophe en nous donnant la scène telle qu’elle aurait dû être : le personnage concerné explique sa situation. C’était un très bon passage ! Dommage qu’il y ait, par ailleurs, des gâteaux permettant de changer de sexe pour une journée, avec les options intersexe et asexué. Ça met sur le même plan une réalité qui existe chez les humains et une autre qui n’existe pas, tout en laissant penser qu’il n’y a qu’un seul type de corps intersexe.
Ai-je réussi à faire illusion ? La vérité, c’est que si je me souviens que j’avais adoré Magic Charly 1 et 2… je ne me rappelle pas grand-chose d’autre. C’est toujours pareil quand je fais des pauses entre les tomes ! En commençant ma lecture du tome 3, j’étais très irritée de me rendre compte que je ne situais plus du tout l’intrigue. J’ai trouvé quelques informations sur internet, mais j’avoue ne plus trop savoir quels étaient les enjeux du tome 2, à part « survivre à Saint-Fouettard » et « lutter contre la justice ».
Ma courte mémoire n’est pas très pratique pour les chroniques, en revanche, ça va être un véritable plaisir de relire cette série. D’après internet, il y avait dans le tome 1 des livres volants ! Ils m’étaient totalement sortis de l’esprit, et j’ai hâte de découvrir à nouveau tout ça. Malgré quelques couacs, Magic Charly est une série qui brille à la fois par son univers original et époustouflant, sa plume imagée, la finesse de sa critique sociale, son aventure prenante et ses personnages attachants.
Radar à diversité : pp noir, perso secondaire homme trans et intersexe
Avertissements : mort, meurtres, justice et milice abusives, prison, racisme ; transphobie et intersexophobie (seulement partiellement dénoncées)
Une réflexion sur « Magic Charly d’Audrey Alwett »