Samuel Champagne : Trans, Noa Intersexe, Garçon Manqué et Eloi

Ça vous étonne, un article avec quatre livres du même auteur ? Figurez-vous qu’en réalité, j’ai lu six œuvres de Samuel Champagne : j’ai déjà publié un article sur Recrue, et je n’ai pas accroché à Quand le Destin s’en Mêle. J’ai maintenant lu son autobiographie, Trans, qui en plus d’être intéressante, m’a offert une grille de lecture sur ses autres romans. Je vais donc en profiter pour revenir sur Noa, Intersexe, Garçon Manqué et Eloi.

personne en t-shirt avec des livres lisant Trans de Samuel Champagne devant un ciel plein de nuages
Trans de Samuel Champagne

Samuel Champagne est un auteur québécois trans, gay et latino, composant avec un TCA, qui a compris qu’il était trans vers 27 ans, après la naissance de ses deux enfants.

J’ai vraiment apprécié le recul qu’il a en écrivant ce texte. J’ai l’habitude de lire des témoignages de personnes trans plus jeunes ! Assez régulièrement, Samuel revient sur l’écriture d’un chapitre, il raconte ses sentiments passés puis donne son opinion présente sur la situation, et précise qu’il ne faut pas en tirer des généralités. Cette nuance est importante à mes yeux : les autobiographies trans étant rares, évidemment que les lecteurices en tirent des définitions et des modèles ! En lisant ce livre, je pouvais me dire très tranquillement « c’est son vécu, il n’y a pas d’injonction à en tirer ».

Samuel Champagne fait notamment le choix inhabituel de se genrer au féminin pour parler d’évènements avant sa transition : pour lui, ça fait sens, car à l’époque sa transidentité ne lui était pas connue, et ses agissements découlaient de sa conviction d’être une fille. Par exemple, découvrant attendre un enfant à 17 ans, sa décision est de le garder afin de vivre la grossesse, une expérience présentée universellement comme l’essence de la féminité : Samuel espérait ainsi se débarrasser de son impression d’être une « mauvaise femme ». Plot twist, ça ne marche pas !

couverture de Trans de Samuel Champagne

J’étais vraiment embarquée dans son vécu, dans sa perplexité. Samuel était attirée par les hommes, et toujours déçue de découvrir que ses copains n’étaient pas gays, sans comprendre ce souhait qu’ils le soient. De même, un de ses copains l’énervait car Samuel considérait qu’il gâchait la chance qu’il avait d’être un mec.

C’était aussi très intéressant de découvrir les difficultés légales et administratives qu’il rencontre au cours de sa transition. Heureusement que certaines choses ont changé – même si, pas tout, et pas assez.

Comme j’avais lu ses autres romans, j’ai beaucoup apprécié de voir dans quel contexte il les a écrits. J’avais deviné certaines choses… notamment qu’il a écrit Recrue à l’époque où il ne savait pas encore qu’il était trans et gay, ou que Garçon Manqué résultait de son envie d’avoir compris sa transidentité plus tôt. Ça a confirmé mon impression que Samuel Champagne écrivait à la fois dans le but de faire de la pédagogie, mais aussi d’offrir à des personnes marginalisées une première représentation.

Personne en chemise bleue lisant Garçon Manqué de Samuel Champagne devant une route
Garçon Manqué de Samuel Champagne

La plupart du temps, je trouve que ces objectifs s’entremêlent bien avec l’histoire : je n’ai pas l’impression de lire un flyer. C’était cependant moins le cas pour Garçon Manqué. Tout le roman se consacre au parcours d’exploration de genre et de transition d’Eloi, il n’y a aucune histoire annexe, rien.

Dès l’enfance, Eloi exprime une préférence pour la masculinité, est certain de ne pas être une fille, ne comprend pas pourquoi on lui fait porter des jupes. Il commence à transitionner dans l’adolescence, malgré le rejet de sa famille. J’aurais aimé qu’il y ait quelques surprises dans le scénario, mais le parcours d’Eloi est très attendu.

Je me suis cependant attachée à lui et au fil du récit, j’étais engagée dans son histoire. La transphobie qu’il vit est horrible, et les moments de joie me soulageaient d’autant plus…

Garçon Manqué est un roman qui s’adresse à des personnes découvrant ce qu’est la transidentité, ou des lecteurs ayant un parcours similaire à celui d’Eloi : je n’étais pas surprise quand Samuel Champagne a expliqué quelque chose de similaire dans Trans.

personne en débardeur rouge lisant Eloi de Samuel Champagne devant un arbre aux branches nues et entremêlées
Eloi de Samuel Champagne

J’ignorais totalement qu’Eloi était la suite – certes indépendante – de Garçon Manqué. Pourquoi ne trouve-t-on cette information nulle part ?

On reprend la vie d’Eloi quelques années plus tard, alors qu’il entre au cégep et revoit Luka, un mec cis qu’il avait trouvé cute durant une marche trans. Ils se rapprochent… jusqu’à ce que Luka découvre qu’Eloi est trans.

J’ai trouvé l’histoire et les sentiments des personnages très sincères et réalistes. Luka considère Eloi comme un garçon, a une amie trans qu’il voit bien comme une fille mais… quand il s’agit de sortir avec lui, ça coince.

Cependant, un roman entier juste pour voir un mec gay surmonter sa transphobie, c’était quand même un peu pénible !

Heureusement, les personnages sont attachants et mignons, et j’étais investie dans l’histoire.

personne en chemise jaune lisant Noa, Intersexe de Samuel Champagne sous un tunnel d'arches en bois avec des plantes grimpantes
Noa, Intersexe de Samuel Champagne

Comme Samuel Champagne raconte dans Trans à quel point il est touché par l’impact que peut avoir le fait de se reconnaitre dans un livre, j’imagine que c’était son objectif en publiant Noa, Intersexe. C’est aussi un roman pédagogique, avec pour but de présenter l’intersexuation aux personnes n’en ayant jamais entendu parler. Comme avec Eloi ou Recrue, l’équilibre entre pédagogie et œuvre prenante est bien trouvé : Noa est attachant, la romance est mignonne, alors j’ai lu l’histoire avec intérêt.

On suit donc Noa, un ado intersexe de 16 ans auquel les médecins et son père mettent de plus en plus de pression : ils veulent qu’il ait des opérations pour se conformer davantage à ce qui est médicalement attendu d’un homme. En parallèle, il rencontre Maël par le biais de son boulot. Les deux garçons se rapprochent, et Noa s’interroge sur ses sentiments à l’encontre de Maël.

Ce que j’ai préféré dans ce livre, c’est la romance, ce qui est assez rare pour être noté. Les scènes de type « on se tient la main et on rougit » sont chou. En général, je n’aime pas trop les scénarios « je suis différent alors personne ne peut m’aimer » : c’est un grand classique de la représentation ace qui commence à vraiment m’agacer. J’en ai peut-être trop lu, ou alors, peut-être que j’en ai assez que la valorisation d’une différence passe par l’amour d’une unique personne non concernée.

Ce qui aidait ici, c’est que Maël a ses propres enjeux, et Noa est à peu près sûr que Maël acceptera son intersexuation. En parler reste difficile ; j’ai trouvé ça très juste. Ce n’est pas parce qu’on a la conviction intellectuelle que tout se passera bien qu’il est facile de surmonter des années de crainte.

J’ai vite deviné le plot twist relationnel entre Maël et Noa et j’en suis très fière ! J’ai bien aimé l’évolution de la personnalité de Noa, ainsi que ses relations avec les personnes âgées dans l’hôpital où il fait du bénévolat. De même, le voir s’affirmer face à son père était très satisfaisant !

couverture de Noa, Intersexe de Samuel Champagne

Vers le milieu, j’ai commencé à avoir de gros doutes sur la pertinence de la représentation intersexe. Etant dyadique, je n’ai pas d’avis basé sur l’expérience, par contre, je peux repérer les clichés dénoncés par des personnes intersexes, ou comparer à des témoignages – en sachant bien sûr que chaque vécu est différent.

Noa sait qu’il est intersexe, alors qu’en France, les médecins le dissimulent. Mais c’est peut-être différent au Canada… Et ce n’est pas pour autant que Noa, Intersexe nie le tabou existant : jusqu’à ses huit ans, personne n’expliquait à Noa la raison de ses visites à l’hôpital. Alors même que la mère est montrée sous un jour positif, puisqu’elle s’oppose aux mutilations des médecins et soutient le libre-arbitre de Noa ; l’isolement dans lequel elle le maintient est dénoncé. La nuance est réussie ! Le contexte – le fait que les médecins attendent ses 16 ans – ne correspond pas non plus à ce que je sais, mais peut-être que l’auteur voulait présenter une situation plus bienveillante, et ça ne l’empêche pas de dénoncer le comportement des médecins.

Noa a un diagnostic 46XX/46XY, présenté comme très rare. Sa mère et Maël, pour contrebalancer les propos oppressifs qui désignent sa différence comme « monstrueuse », mettent celle-ci sur un piédestal : Noa est si spécial, si unique ! Je trouve ça assez aliénant, mais bon, les mères ont tendance à penser que leur fils est extraordinaire, non ?

J’ai mis du temps à vérifier sur internet : ce que j’avais pris pour une insulte dans le roman – et qui est ressentie comme telle par Noa – est en fait la désignation officielle de son diagnostic. Evidemment, ce n’était pas ça que j’avais recherché ! Bref, cette variation existe bel et bien.

Les descriptions sont médicalement exactes, mais leur ton m’a déplu. Narrativement, je comprends que Noa parle de sa variation avec des termes répugnants. Vu le stigma qui l’entoure, c’est logique ! Mais je ne suis pas très à l’aise avec le fait d’avoir été horrifiée moi aussi par ces descriptions.

Dans l’ensemble, Noa, Intersexe est un bon roman, avec une romance mignonne et plusieurs sous-intrigues qui lui permettent de dépasser son aspect pédagogique.

couverture de Garçon Manqué de Samuel Champagnecouverture de Eloi de Samuel Champagne

Samuel Champagne a écrit de nombreux autres romans, toujours sur des personnes sortant des normes, ou en lien avec ses passions. Même si j’adore l’idée de pouvoir me dire « j’ai lu TOUS les romans de cet auteur », je crois que je vais me contenter de ce que j’ai lu : je les apprécie, mais ils ne sont pas non plus de grands coups de cœur. Et le résumé des autres me tente moins !

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