Quand mon partenaire de lecture a finalement lu Le Beau et la Bête, il a a-do-ré. Ça l’a relancé dans une phase de lecture et il a enchainé avec Le Cœur de Neverland d’Isabelle Lesteplume – un tome indépendant des Contes du Royaume Oublié −, que je n’avais pas encore lu… mais du coup, j’ai eu droit à ses réactions en avant-première. Globalement, l’univers n’était pas à son goût mais il a beaucoup aimé les personnages.
Et il se trouve que moi, je trouve les réécritures de Peter Pan assez fascinantes… et en plus j’ai un faible pour les pirates, ce qui part bien : Will, le narrateur principal, part pour Neverland afin de récupérer son frère enlevé par Peter Pan, et il y rencontre bien sûr le Capitaine Crochet.
Les personnages étaient prenants et avaient d’excellents dialogues ! j’ai beaucoup ri et j’ai dévoré le roman, passionnée. C’est le genre d’enemies-to-lovers que j’adore : les personnages ont des raisons logiques et légitimes de ne pas s’apprécier, sans que ça tourne à la romance toxique. Ici, Will est un ancien soldat démis de ses fonctions après avoir perdu sa jambe. Toutes son unité est morte dans la même explosion, à cause de décideurs qui se préoccupaient plus de gloire que de vies humaines. Il plaisante de tout afin de ne pas sombrer dans la dépression… mais ce que voit le Capitaine Crochet, très à cheval sur l’ordre et les règles, c’est quelqu’un qui ne prend rien au sérieux, même quand la situation est dangereuse. Dans le monde de Neverland, il faut suivre des scénarios préécrits afin de satisfaire Peter Pan – dont l’univers dépend – et Crochet est donc pointilleux et sévère, ce que Will prend initialement comme de l’indifférence et de la tyranie. De la part d’un capitaine, ça lui rappelle de très mauvais souvenirs !
Bref, j’avais hâte de les voir apprendre à se connaître et se rendre compte qu’ils sont plus similaires qu’ils ne le pensaient. J’étais super-embarquée dans cette relation ! Et puis, j’ai vraiment apprécié que le livre ait parfaitement conscience du fait que les pirates c’est cool, séduisant et attirant, n’en déplaise au réalisme : on est dans un univers de fantasy, autant en profiter pour avoir des pirates aux dents non rongées par le scorbut, qui se mettent torse nu inopinément pour faire soigner leurs blessures – Will perd ses moyens, bien sûr, c’est hilarant. On a plein de scènes de flirts sous prétexte d’entrainement au combat – et des sous-entendus sur le fait d’embrocher quelqu’un avec une épée. Et comme il n’y a pas de scènes de sexe, je pouvais apprécier tout ça sans sauter des passages !
Le Cœur de Neverland était vraiment presque génial. Pourquoi « presque » ? Eh bien… souvent, la tension grimpait, et… j’étais satisfaite par la résolution, mais il y avait un petit quelque chose qui aurait pu être mieux. Pas mal de révélations du passé des personnages ont pris la forme de longues explications, et puis il y a un moment où la narration nous dit directement que Crochet a tendance à refouler ses émotions, alors que… je le savais, on le voit depuis le début du livre ! Ça donne l’impression que le livre me méprise et ça m’a direct sortie de la scène.
Pour un autre passage, j’ai donné une explication détaillée à mon ami de ce qui était mieux dans ma tête que dans le livre – après l’avoir fini, j’ai passé plusieurs jours à rêvasser dessus, parce qu’il était vraiment bien, et j’ai relu plein de parties – et sa réaction a été qu’il fallait absolument que je contacte l’autrice pour lui dire, parce que l’idée était géniale. Moi je crains surtout qu’après publication, ça ne soit plus le moment, mais bon…
Je vais essayer de ne pas trop vous spoiler, allons-y : vers la fin de Le Cœur de Neverland, on a trois révélations qui s’enchainent, l’une qui concerne les enfants perdus et qui est géniale, avec un impact émotionnel et un impact scénaristique, c’est top ; une autre sur l’origine de l’univers qui arrive si tard que j’ai pas vraiment intégré les conséquences mais c’est pas gênant ; et une qui concerne le passé de Crochet et qui a juste… zéro impact, pour moi. On apprend un truc sur son passé, mais il veut pas en parler, puis il accepte de dire une phrase sur le sujet, puis on en reparle plus, puis c’est la fin. Émotionnellement et scénaristiquement, ça ne change pas grand-chose, et c’est si dommage, car TOUT était là pour que ça soit cool.
Si on reprend au début, la raison pour laquelle le petit frère de Will est enlevé est parce que Will est traumatisé par la guerre et le repousse. Crochet l’ignore, et lui reproche d’avoir abandonné son frère – car seuls les enfants abandonnés sont pris par Peter Pan – et on sait que ça résonne douloureusement pour lui en raison de son passé.
J’aurais adoré que ce parallèle soit présent tout au long du récit. Que l’histoire insiste sur le fait que Crochet a du mal à faire confiance à Will parce qu’il a abandonné son frère, et qu’il lui est déjà arrivé la même chose. A un moment, il croit que Will va l’abandonner, et la scène pourrait être encore plus dramatique, et Crochet pourrait faire un commentaire sur le sujet – qu’évidemment que Will l’abandonne puisqu’il a fait la même chose à son frère, et qu’il a l’habitude, etc. S’ensuit leur réconciliation, et Crochet pourrait raconter son histoire sans donner de noms.
Puis on a la révélation, et Will qui apporte des informations de son monde sur ce qui s’est passé pour la personne qui est partie. Ça permet à Crochet d’apaiser cette blessure, et plus tard, grand moment de drame, Will doit choisir entre partir avec son frère ou avec Crochet, et il se dit que ça serait terrible pour Crochet d’être abandonné encore… mais grâce à la révélation, ça va.
Je ne sais pas si cette explication donne grand-chose avec tous les contournements que j’ai faits, mais disons que dans l’ensemble, j’aime bien que les romances me torturent émotionnellement, et si Crochet avait constamment peur que Will s’en aille, ça aurait tout à fait eu cet effet sur moi !
Le Cœur de Neverland est un excellent roman en tant que tel, et même si j’étais parfois frustrée de voir son potentiel pour être encore meilleur j’ai passé un moment génial à le lire, et l’histoire est restée avec moi. J’y ai repensé à de nombreuses reprises, j’ai inventé mes propres versions… j’aime les livres qui me font rêver, et Le Cœur de Neverland est définitivement de ceux-là !
Radar à diversité : pp avec une prothèse à la jambe (et dépression/PTSD), pp avec une prothèse à la main (possiblement asiatique), couple m/m,
Avertissements : souvenirs traumatiques de guerre, combats avec des enfants
Une réflexion sur « Le Cœur de Neverland de Isabelle Lesteplume »