Ali Hazelwood : The Love Hypothesis, Love on the Brain et Love, Theoretically

J’adore lire des fanfictions publiées. Malheureusement, jusqu’ici, je vois surtout passer des œuvres hétéro, mais même : ça me remplit de joie de voir que des œuvres écrites pour le plaisir personnel et le partage communautaire, sans la contrainte des normes éditoriales, peuvent plaire au point d’être reprises par le commerce. Les fanfictions, pour moi, c’est quand même un rassemblement de tout ce qui a été jugé indigne d’être publié, car trop marginal ou trop indécent. The Love Hypothesis d’Ali Hazelwood, qui était initialement une fanfic Star Wars, était donc parmi les livres qui m’intriguaient depuis un moment.

personne en combi de jean lisant The Love Hypothesis de Ali Hazelwood devant un buisson de fleurs bleues
The Love Hypothesis de Ali Hazelwood

Ce qui a finalement déclenché ma lecture, c’est une combinaison entre le fait que je n’arrivais pas à lire autre chose que des romances – tout autre récit était trop imprévisible et stressant – et le scandale littéraire impliquant la communauté Reylo de Star Wars – vous pouvez trouver un résumé très court ici et un plus détaillé ici. Les fans Reylo sont intervenu·es de manière très classe, avec des analyses de style littéraire et tout, et ça m’a donné envie de me plonger dans l’ex-fanfic Reylo qu’est The Love Hypothesis.

Je ne sais même pas trop bien comment résumer cette romance au début improbable… disons que pour une raison capilotractée, la narratrice, Olive, doctorante en biologie, doit faire semblant de sortir avec Adam, un des professeurs de son université. On est donc sur un trope de fanfic très classique, auquel s’ajoute évidemment des moments où iels sont obligés de s’exprimer de l’affection en public, une sorte d’enemies-to-lovers puisqu’Adam a la réputation d’être un professeur cruel et que tout le monde le déteste, le cliché de « et iels se retrouvent forcé·es de partager une chambre d’hôtel », et bien sûr une agression sexuelle pour qu’Adam ait l’occasion de se montrer protecteur. On pourrait croire, pour ce dernier évènement, que ça ferait sortir le bouquin de la catégorie « livre de pure détente » que je consomme en ce moment, sauf que comme c’est extrêmement prévisible et cliché, ça ne m’a pas du tout stressée.

En plus, je dois reconnaitre que l’autrice a fait un effort pour aborder un sujet d’autant plus intéressant qu’on sent qu’il lui tient à cœur : la place des femmes – et des personnes marginalisées – dans les domaines scientifiques.

couverture de The Love Hypothesis de Ali Hazelwood

La narration est très prenante, le couple principal fonctionne bien, avec des dialogues drôles et entrainants, et j’ai dévoré The Love Hypothesis en une journée. Les moments d’affection forcée m’aurait mise beaucoup plus mal à l’aise si ça n’était pas aussi cliché – j’avais presque l’impression que le livre suivait une checklist – et j’ai plus ri de ces scènes qu’autre chose. Ça m’a vraiment détendue, et j’ai quasi-totalement réussi à faire abstraction du fait que c’est une relation prof-élève avec une différence d’âge.

Un aspect qui m’a vraiment contrariée, ceci dit, c’est cette réputation de professeur cruel qu’a Adam.

J’ai eu des profs qui avaient la réputation d’être sévères, et des profs qui avaient la réputation d’être abusifs : en tant qu’élève, on sait faire la différence entre quelqu’un qui veut notre bien et nous encourage avec ses retours critiques, et quelqu’un qui nous humilie. Adam fait pleurer ses élèves, Olive raconte qu’iels ont des tremblements permanents, et Adam prétend qu’il est « juste » sévère et que son rôle n’est pas de dorloter les élèves ? Mais si ! Il est pas là pour les traumatiser !

Je pense que je n’aurais pas été fan de The Love Hypothesis si je l’avais lu à un autre moment. Mais là, j’avais besoin de quelque chose qui me fasse sourire, qui me distraie sans tension, et la cumulation de clichés de cette romance, associée à une écriture drôle et prenante, était parfaite pour ça.

personne en gilet à spirales lisant Love on The Brain de Ali Hazelwood devant un toboggan coloré
Love on The Brain de Ali Hazelwood

Love on The Brain, c’est The Love Hypothesis en beaucoup mieux. Le style d’écriture reste léger et drôle, avec ses métaphores extravagantes et toutes ses hyperboles. On est encore sur une héroïne petite, drôle, mignonne et joyeuse et un mec grand, musclé, taciturne, super-protecteur, qui semble la détester au premier abord. Cependant, exit les démonstrations d’affection forcées et l’aspect glauque d’une relation prof-élève, cette fois-ci, iels sont co-directeurices d’un projet de casques pour la NASA.

Bee, la narratrice, est une grande fan de Marie Curie, et tient un compte Twitter secret, QueFeraitMarie, où elle parle de sexisme dans le milieu scientifique. Les problèmes des scientifiques sont beaucoup plus présents dans ce roman que dans le précédent : les questions de budget et d’ego mal placé des différents organismes, l’élitisme et le racisme des tests standardisés, le sexisme omniprésent. Le plus fidèle allié de Bee en ligne, et aussi ami proche par messages, n’est bien sûr nul autre que Levi, l’étudiant ingénieur qui la détestait lorsqu’iels étaient dans le même labo. Toustes deux ignorent leurs réelles identités mutuelles, ce qui fait qu’on comprend très vite qu’en réalité, Levi n’a jamais détesté Bee : c’est juste qu’il est désespérément amoureux d’elle, et qu’elle s’est marié à un de ses amis – s’il l’évitait, c’était pour résister à la tentation de lui faire la cour, bien sûr.

Et il n’a jamais découvert que la relation entre Bee et son fiancé était en fait super toxique, qu’elle l’a quitté peu avant le mariage et s’est juré de ne plus jamais faire confiance à qui que ce soit. Il souffre donc terriblement de devoir travailler avec une femme drôle, séduisante, et incroyablement douée pour les neurosciences dont il croit qu’elle est inaccessible. De son côté, Bee redoute de se confronter à quelqu’un qui a toujours fui les pièces dans lesquelles elle se trouvait.

couverture de Love on The Brain de Ali Hazelwood

Assez vite, iels se retrouvent bon gré mal gré allié·es face au sexisme de la NASA et aux petits complots politique mesquins de leurs supérieurs hiérarchiques. Bee découvre qu’ils ont énormément de points communs – iels aiment les mêmes films, les mêmes musiques, les mêmes livres, sont toustes les deux végans et engagé·es pour l’environnement, adorent les mêmes animaux et les mêmes plantes, etc, etc. Leur romance fonctionne vraiment bien, leurs dialogues sont fun, et j’adore les moments où leurs identités en ligne sont découvertes, ou encore quand Levi se rend compte que Bee n’est pas mariée – j’adore les quiproquos, les identités secrètes et les révélations, à condition que ça ne soit pas totalement improbable.

J’ai relu Love on the Brain deux mois plus tard, alors que j’avais besoin d’une lecture drôle et prévisible qui me permette de m’échapper. Mon appréciation initiale n’était pas un accident : encore une fois, je l’ai dévoré, je me suis amusée, bref, c’était génial. J’ai tenté de relire The Love Hypothesis, mais avec le recul, il ne soutient pas la comparaison.

personne en chemise bordeaux lisant Love, Theoretically de Ali Hazelwood devant des buissons aux branches rouges et jaunes
Love Theoretically de Ali Hazelwood

Mais du coup, que lire ensuite ? Le troisième tome, Love, Theoretically, ne sortait que trois mois plus tard en VF, et moi j’en avais besoin maintenant !!

J’ai hésité, et finalement, j’ai décidé de le lire en anglais, même si j’ai besoin d’un peu plus de concentration pour ça, et que je redoutais donc d’être moins détendue.

Cette fois-ci, on suit Elsie, qui a eu son doctorat en physique théorique un an plus tôt et se retrouve prof auxiliaire dans trois établissements différents. Elle déteste enseigner, le salaire est largement insuffisant et elle n’a pas la mutuelle dont elle a besoin pour son diabète. Elle a postulé au MIT pour un poste de recherche, et en parallèle, elle a depuis sept ans un second emploi de fausse petite amie.

Sauf que lorsqu’elle se rend à son entretien d’embauche, elle se rend compte qu’un de ses potentiels collègues est Jack, le frère ainé de son client préféré. Il la connait donc sous une autre identité, et comme il adore son frère, il pense qu’Elsie lui ment, le manipule, et est une horrible personne. Honnêtement, c’est déjà un bon départ d’enemies-to-lovers – je trouve souvent que dans un contexte contemporain, c’est difficile d’avoir de bonnes raisons de détester quelqu’un mais d’en tomber amoureux plus tard. Mais en plus de ça, Jack est un physiciste expérimental à l’origine d’un scandale ayant détruit la carrière du mentor d’Elsie et ridiculisé la discipline dans laquelle elle travaille – au point qu’il est maintenant difficile d’obtenir des fonds. Elle a donc, elle aussi, de très bonnes raisons de le détester.

couverture de Love, Theoretically de Ali Hazelwood

Leur relation est vraiment cool ! Elsie cherche désespérément à plaire à son entourage et change de personnalité selon les gens avec qui elle est. Elle est super douée pour deviner ce qu’ils veulent d’elle, et leur faire croire que c’est ce qu’elle veut aussi. Mais elle a du mal à lire Jack et il est donc la seule personne avec qui elle est elle-même, faute de savoir comment lui mentir. De son côté, Jack est clairement impressionné par son talent scientifique et par le fait qu’elle était très douée pour protéger son frère de leur famille odieuse. Il y a un véritable accent sur le consentement – comment consentir quand on ne sait pas ce qu’on veut ? Comment consentir quand on est terrifié que quelqu’un nous abandonne si on exprime une envie ?

Love, Theoretically nous offre une représentation aromantique plutôt réussie sur un personnage secondaire, cependant, niveau représentation asexuelle, The Love Hypothesis comme Love, Theoretically me paraissent un peu à côté de la plaque. Tous deux nous présentent des héroïnes qui n’ont jamais été attirées par qui que ce soit – au point de, pour l’une, s’interroger vite fait sur l’asexualité – mais bien sûr, elles désirent intensément l’intérêt amoureux qui leur ouvre les yeux sur les plaisirs du sexe. La représentation greysexuelle est importante, mais ça, ça ressemblait davantage à du fétichisme – contrairement à d’autres représentations greysexuelles, nos narratrices ne se sentent pas excluent des conversations sexuelles, ou confuses face à la norme sexuelle de la vie quotidienne… rien. C’est juste là pour rendre les scènes de sexe plus extraordinaires. Ceci dit, comme c’est justement très négligeable niveau scénario, c’est quelque chose qui m’a peu dérangée. J’ai cependant remarqué en lisant Check & Mate de la même autrice que cette représentation superficielle me pesait par accumulation : la bisexualité de la narratrice comme la greysexualité du love interest sont plus décoratives qu’autre chose.

Un autre élément scénaristique m’a cependant crispée direct : dès le premier dialogue entre Elsie et son mentor, il est clair qu’il la gaslighte et la manipule. Elle ne s’en rend pas compte, et c’est quelque chose que je trouve super stressant. Avant de continuer le livre, j’ai lu toutes les scènes où le mentor apparaissait, histoire de pouvoir anticiper. Même si je trouve ça intéressant et important d’aborder ces sujets – et je crois que c’était pas trop mal fait – c’est assez difficile à lire pour moi et ce n’est pas du tout ce que je recherchais à ce moment-là.

Globalement, Ali Hazelwood est une autrice qui réutilise des tropes classiques pour des lectures relaxantes, drôles et prévisibles, dans un contexte scientifique lui permettant d’aborder divers soucis de ce milieu – élitisme, sexisme, racisme, harcèlement sexuel, népotisme, précarité… Ses intérêts amoureux sont toujours très gentils et très dévoués envers la narratrice, ce qui est cool. Elle a un style d’écriture porté sur l’hyperbole que je trouver personnellement très drôle. Love on the Brain reste mon préféré, mais je pense que je relirai Love Theoretically lors de sa sortie française.

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