Trilogie Endless Love de Cecilia Tan

Ces derniers mois, j’ai étendu ma recherche de représentation de personnes marginalisées à celles de personnes kinky. Je m’étais déjà intéressée à l’Histoire de la communauté BDSM – notamment parce que ça revient à chaque Pride – et j’avais envie de mieux comprendre ces pratiques. Sauf que, loin de trouver des représentations réalistes, je me retrouvais surtout face à des fantaisies – ce qui n’est pas illogique, puisque la fiction permet de vivre toutes les fantaisies qu’on souhaite sans les efforts pratiques de la réalité. Un peu déçue, j’ai donc cherché des militant·es kinky qui auraient écrit des romans, et c’est comme ça que j’ai découvert Endless Love de Cecilia Tan.

personne en robe bustier noire très courte lisant Endless Love Tome 1 de Cecilia Tan assise sur une structure en bois
Endless Love Tome 1 de Cecilia Tan

Honnêtement, le tome 1 ne paye pas de mine : le scénario décrit par le résumé est d’un banal ! C’est l’éternel cliché d’une étudiante précaire qui tombe sur un dominant richissime l’initiant aux joies du sexe kinky. J’ai vu de tels résumés un million de fois !

Mais comme je suis tombée sur le tome 2 chez Emmaüs et que je l’ai acheté – oui, c’était gênant, la couverture est explicite – ça m’a donné l’impulsion nécessaire pour me lancer dans la lecture du tome 1. Et… c’était… bien ? Franchement, je n’en reviens toujours pas.

Le récit est raconté du point de vue de Karina, une étudiante en train de finaliser son mémoire sur l’art préraphaélique. Sa sœur l’ayant réquisitionnée pour tenir son bar durant le concert d’une rock star, elle a annulé son rendez-vous avec son directeur de thèse sous un faux prétexte… sauf que le voilà qui rentre dans le bar ! Pour se cacher, elle s’occupe avec davantage d’attention d’un autre client, qui lui propose alors un jeu : elle doit garder un morceau de marbre dans sa bouche le temps de préparer sa boisson, puis le mettre dans le verre. C’est ainsi qu’elle entame une relation bdsm avec le très mystérieux James.

J’ai tout simplement adoré Karina. J’étais toujours d’accord avec ses choix, même quand, personnellement, je n’aurais pas pris la même décision. Elle est très assurée, même dans ses doutes : par exemple, elle ne sait pas ce qu’elle veut faire dans la vie, mais suit ses études avec beaucoup de détermination, espérant se trouver une passion.

Lorsque son prof lui annonce qu’il ne validera son mémoire – et donc son diplôme – qu’en échange de faveurs sexuelles, elle refuse net. Ça m’a rassurée, parce qu’il est dans une position de pouvoir, mais que ça n’empêche pas Karina de dire non. James aussi, par sa richesse et son influence, a du pouvoir sur elle, et je me disais que de même, elle dirait non si nécessaire.

En plus, sa colocataire la soutient dans cette liaison en lui demandant de l’appeler régulièrement pour être sûre qu’elle n’est pas kidnappée, et Karina trouve en elle une confidente qui lui fournit des informations plus générales sur le kink.

couverture de Endless Love tomes 1 à 3
couvertures de Struck by Lightning 1 à 3

En anglais, les titres sont « Slow Surrender », « Slow Seduction » et « Slow Satisfaction » et le titre de la série est « Struck by Lightning »

La relation qu’elle a avec James est très sincère, spontanée et naturelle. Iels rient ensemble pendant les scènes, Karina le taquine, et iels discutent beaucoup de leur relation. Le consentement est présent au fil de l’eau : c’est James qui guide et surprend Karina, mais elle a toujours la possibilité de dire non – d’ailleurs, elle le fait, et c’est respecté.

Contrairement à de nombreuses romances avec une telle différence financière, il ne se met pas à envahir et contrôler sa vie sous prétexte de l’aider. Quand iels font des sorties ensemble, c’est lui qui paye, mais il ne lui propose jamais de régler son loyer, de rembourser son prêt étudiant, de lui offrir une voiture ou quoi que ce soit. Si leur relation se terminait, Karina en serait au même stade avant qu’après, elle n’est pas dépendante de lui.

personne en longue chemise blanche et collants lisant Endless Love Tome 2 : Endless Seduction de Cecilia Tan assise sur des marches, tournée vers une peluche sous des arches
Endless Love Tome 2 : Endless Seduction de Cecilia Tan

Honnêtement, je ne sais pas trop classifier cette série. Officiellement, c’est une romance érotique, mais… il y a tout autant de scènes de sexe que dans les romans prisés de littérature contemporaine comme Arcadie ou Le Choix de l’Oranger – et soit dit en passant, Endless Love était beaucoup plus prenant, et bien meilleur niveau consentement. Il y a de nombreuses histoires parallèles non-sexuelles : Karina qui se bat pour son diplôme et pour que le professeur qui l’a harcelée soit renvoyé, sa mère qui est dans une relation toxique et qu’elle veut protéger, ses études de tableaux – j’ai beaucoup appris sur l’art préraphaelite, même si j’ai mis deux tomes à comprendre ce mot qui m’était inconnu. De plus, James est absent du tome 2 : il disparait à la fin du 1 après que Karina découvre son identité. Elle passe le tome entier à enquêter à travers son stage dans un musée londonien, tout en suivant une initiation dans un club BDSM.

Le seul tome qui suit le schéma classique d’une romance érotique est le troisième, et j’avoue avoir retrouvé ces clichés avec amusement. Il y a quelque chose de très réconfortant dans le fait que chaque problème puisse être résolu par le fait de coucher ensemble. C’est ridicule, amusant, et retire totalement tout aspect dramatique d’une situation, j’aime beaucoup.

personne en chemise rose et pantalon à bretelles lisant Endless Love Tome 3 : Endless Satisfaction de Cecilia Tan dans un agrès rempli de cordes
Endless Love Tome 3 : Endless Satisfaction de Cecilia Tan

Tout du long, j’ai globalement aimé l’approche au sexe d’Endless Love. J’ai mis du temps à mettre le doigt sur ce qui me plaisait tant : en fait, les relations sexuelles y sont décomplexées et exemptes de honte. Je savais qu’en général, la société considère le sexe comme quelque chose d’essentiel, le sommet du plaisir, tout en trouvant ça sale et honteux, mais je n’avais pas remarqué à quel point ça filtrait dans mes lectures avant d’être ébahie de ce roman où ce jugement-là est absent. C’est si reposant ! Karina a des relations sexuelles parce qu’elle aime ça, ou parce que ça lui est utile et qu’elle est confortable avec ce qui se passe, et puis voilà.

Malheureusement, cette série est aussi franchement acephobe. Tout l’enjeu du tome 1 est, pour Karina, d’avoir une relation sexuelle avec James. Et attention ! Le sexe oral ou digital ne compte pas, la seule chose qui compte, c’est la pénétration vaginale. Pareil dans le tome 2 où Karina, pendant son initiation, exige de n’avoir aucune relation sexuelle : en fait, c’est juste la pénétration qu’elle refuse. En plus, le dominateur qui la teste pense qu’elle a un blocage sexuel et se met en tête de la convertir… mais il constate qu’elle n’a aucune gêne et apprécie le sexe, alors tout va bien. C’est d’autant plus dommage que Karina passe tout ce tome à avoir des relations sexuelles avec des personnes qui ne l’attirent pas, qu’elle trouve même antipathiques, pour certaines : c’est très ace, quelque part. Tant qu’elle a confiance dans le fait que son consentement soit respecté, ça lui va d’avoir des relations sexuelles.

Le club où elle suit son entrainement a dans ses règles un nombre d’interactions sexuelles minimum… c’est absurde, car d’un autre côté, ce tome 2 explore vraiment le bdsm non-sexuel, en particulier le masochisme et le service. L’une des dominantes se plaint que beaucoup de membres ne viennent que pour le libertinage, et non pour le service ou le SM, mais le livre a la même approche.

Au moins, le consentement douteux et le sexisme du club sont dénoncés, même si cette centralisation du sexe ne l’est pas.

Endless Love est une trilogie étonnamment complexe et entrainante, qui se base sur un cliché mais qui, grâce à une héroïne bien campée, le dépasse et plus encore. J’ai passé un excellent moment de lecture, et j’ai beaucoup appris !

Avertissements : scènes de sexe, scènes de bdsm, chantage, acephobie

 

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