Library Wars – Love & War de Kiiro Yumi & Hiro Arikawa

personne en t-shirt humoristique lisant Liar Game tome 1 devant un métro aérien décoré par les coquelicots de l'artiste War

Oui ? Non ? Est-ce que j’assume ? Peut-être dans un article conjoint avec Liar Game ? Depuis ma relecture passionnée de Library Wars en avril 2021, je suis en plein dilemme. J’ai acheté l’intégrale de ce manga avec l’aide d’un ami, qui me l’a finalement passée en novembre 2022 : je l’ai encore relue, et j’étais face à la même hésitation. Pour arrêter de me poser des questions, le plus simple, c’est encore de publier cet article…

J’ai commencé à lire beaucoup de mangas lorsque j’étais en prépa, et je ne lisais « bien sûr » pas du tout de shôjo 1. C’est un « truc de fille », et ça n’avait donc pour moi aucun intérêt à côté des shônen et seinen. Mais, trois ans plus tard, j’avais un petit peu combattu mon sexisme intériorisé et Library Wars m’a intriguée. Tranche rose, petites fleurs : ça ne pouvait pas être un bon manga. Mais le titre, c’était « Library Wars » ! J’adore les bibliothèques, et puis la guerre, c’est un truc de mecs, donc intéressant ! C’est sur cette base-là que j’ai commencé ma lecture.

Pour une fois, j’avais lu le résumé ! L’histoire se passe dans le futur – en 2020, car le manga est adapté d’un roman datant de 2006 – où, au Japon, l’état censure les médias. Comme elles dépendent de collectivités locales et non de l’état, les bibliothèques sont les seuls organismes à pouvoir s’opposer à la censure, et elles se sont dotées d’un corps armé pour défendre les livres ! Depuis qu’un agent de défense a sauvé Iku et le livre qu’elle protégeait, elle rêve de rejoindre les bibliothécaires pour retrouver son « Prince Charmant ». Sauf qu’elle est accueillie par un instructeur revêche qui lui en fait voir de toutes les couleurs…

J’adore tous les moments où il est mention du fait qu’elle court très vite, qu’elle est très forte, et qu’elle est plus grande que son instructeur !

On comprend dès la première page que l’instructeur revêche, Dojo, est en réalité le sauveur d’Iku, et une grande partie de l’humour repose sur ce quiproquo ! J’adore ce genre ce genre de situations : c’est hilarant, et dès que je cesse de lire, ma tête est remplie d’hypothèses sur comment Iku va découvrir la vérité. Même en me souvenant, je n’avais qu’une hâte : revoir comment ça allait se passer.

Sur les 15 tomes, le scénario de Library Wars est très bien mené, à la fois au niveau du fil rouge – la trame politique de la censure ainsi que la romance entre Iku et Dojo – et au niveau des arcs, avec des combats, des débats, des machinations. Les stratégies des personnages étaient toujours passionnantes, avec ce qu’il fallait d’inventivité et de plot twists pour me tenir en haleine.

Je ne pense pas qu’il tienne la route, politiquement, mais est-ce important ? Tant qu’un arc narratif est cohérent, et qu’il met en scène des stratégies qui ont la classe, qu’importe que ça ne soit pas réaliste ? Après trois relectures, je n’ai toujours pas compris quel est le point de litige entre les deux factions bibliothécaires, mais leurs machinations pour prendre le dessus était passionnantes à suivre !

Là où le bât blesse, c’est que le propos sur la censure est… un peu creux ! J’ai apprécié que le point de départ soit « la censure, c’est mal ». A aucun moment le manga ne s’arrête pour nous expliquer en quoi la censure est une mauvaise chose. Comme si c’était évident. Ça fait du bien, que ça ne soit pas un débat, et que tous les censeur·ses présenté·es n’aient que des arguments ridicules. Aujourd’hui, je vois assez régulièrement des débats sur la censure – pitié laissez AO3 tranquille – et certaines plateformes comme Tumblr sont censurées sous couvert de protection. Mais on sait bien que les premiers à trinquer, c’est nous. Accepter une première censure, c’est donner une arme à des personnes qui s’en serviront pour limiter la visibilité des personnes queer.

Par la suite, la plupart des exemples de censure que Library Wars donne sont faiblards voir contrariants. Les exemples que j’ai aimés sont la censure d’une œuvre d’art dénonçant la censure, et celle de textes retraçant l’histoire de ces lois anticonstitutionnelles. Les exemples que je n’ai pas aimés sont ceux des mots « manchots » ou « coiffeurs » : d’après Library Wars dénoncer des termes oppressifs serait la voie vers des lois liberticides. C’est à côté de la plaque : se plaindre de quelque chose, c’est vraiment pas pareil que d’édicter une loi contre, enfin ! Dans les plus mitigés, il y a un moment où un journal est censuré pour avoir publié des informations privées sur un mineur. J’aurais bien aimé que ça soit l’occasion pour les personnages de protéger un texte qu’ils n’approuvent pas – ce qu’ils font à un autre moment, lorsqu’ils défendent des textes pro-censure – mais ça n’a pas du tout été exploité. J’aurais aussi bien aimé qu’il y ait une distinction établie entre « protéger de la censure » et « mettre en avant, promulguer ». Publier un texte controversé ou empêcher sa destruction, c’est très différent. Un auteur français s’est récemment insurgé d’être « censuré » parce que les maisons d’éditions américaines refusaient de traduire son texte raciste, mais ça, ce n’est pas de la censure !

N’empêche, même si le propos du manga est bancal, c’est un support à réflexion, et je me suis posé plein de questions, que ce soit pendant ma lecture ou après. Les sujets abordés sont complexes, et le fait que Library Wars n’apporte pas de réponses suffisantes n’est qu’une motivation supplémentaire à chercher les miennes !

couverture de Library Wars tome 1
couverture de Library Wars tome 5
couverture de Library Wars tome 8
couverture de Library Wars tome 9
couverture de Library Wars tome 11
couverture de Library Wars tome 15

Mais, à vrai dire, ce n’est pas pour ça, ou pas tout à fait pour ça, que ce manga est si cher à mon cœur. C’est un manga de filles. Et c’est un manga excellent.

Ce n’est même pas le genre d’œuvre où je pourrais, comme je l’avais fait du temps où je lisais des Meg Cabot, affirmer « nan mais c’est pas vraiment un truc de filles, regarde y a de la guerre, c’est pour ça que c’est bien ». Non, non, c’est totalement un shôjo, centré sur une romance, avec plein de rougissements, de paillettes et de cœurs qui palpitent. Pour la première fois de ma vie, j’ai été obligée d’admettre que les « trucs de fille », ça pouvait avoir de la valeur. Mine de rien, Library Wars a été une brique importante pour me construire mon estime de moi, et cesser de me mépriser parce que j’étais née fille.

J’étais absolument obsédée par ce manga. J’ai commencé à lire le Light Novel qui l’a inspiré – malheureusement, le style d’écriture des light novel ne me plait pas trop. J’ai regardé les trois films avec acteurs, une partie de l’adaptation en animé, l’unique tome de l’adaptation shônen, et les spin-off à peine traduits, qui nous racontent comment Iku et Dojo se répartissent équitablement les tâches ménagères − c’est trop bien.

La raison principale pour laquelle je n’assume pas d’adorer cette série est que deux des trois romances partent sur une mauvaise base. La romance principale est entre un lieutenant et sa subordonnée directe, et il est abusif, n’hésitant pas à la frapper si elle fait des erreurs. Autant la partie « sauveur » est discutée – lorsqu’elle l’apprend, Iku fait un réel effort pour cesser d’être amoureuse de son Prince Charmant et réapprendre à connaitre Dojo sans le mettre sur un piédestal – autant l’aspect supérieur-subordonnée ne l’est pas du tout. Il y a aussi une romance entre un lieutenant et une mineure…

Pourtant, Library Wars a des velléités féministes ! Ses personnages féminins sont variés et complexes. Iku est une fille sensible et romantique, étourdie et impulsive, une brute épaisse qui ne connait pas la peur. Elle résout ses problèmes avec les poings, et personne ne peut l’arrêter ! Shibasaki, mon personnage préféré, est une fille très belle et manipulatrice, insensible à l’amour. Dans d’autres œuvres, elle serait le cliché de la femme fatale, antagoniste de l’héroïne, mais ici, c’est sa meilleure amie, et elles se soutiennent en toutes circonstances. Dommage cependant qu’Iku et les autres femmes soient souvent ramenées à leur genre, et sans cesse en position de demoiselles en détresse. Il y a beaucoup de remarques sexistes sous couvert de romance, c’est d’un pénible…

Et dire que je croyais pouvoir en faire un article conjoint avec Liar Game – qui a eu un impact similaire dans ma vie, tout comme Les Âmes Vagabondes – alors que rien qu’à parler de Library Wars, mon enthousiasme me fait écrire des pages et des pages ! J’aimerais pouvoir en dire plus, me pencher sur chaque arc, sur chaque exemple de censure, sur la représentation du handicap, et je ne peux même pas conclure en disant « mais je préfère ne pas m’étendre dans cet article pour que vous ayez plus de temps pour lire Library Wars », parce que… est-ce que je le conseille ? Alors que la relation principale se fait sur une base de différence hiérarchique ? J’ai adoré, mais je ne sais pas si les personnes de mon entourage l’apprécieraient. Après tout, il y a d’autres œuvres géniales qui n’ont pas ces défauts ! N’empêche, Library Wars restera cher à mon cœur, et je le relirai encore et encore avec plaisir.

Avertissements : guerre, combats, blessures, relations avec différence d’âge, validisme, relation avec une mineure, agression sexuelle


1 Les catégories Shôjo/Shônen (jeune fille/jeune garçon) ne sont pas les mêmes au Japon et en France, et de nombreux mangas d’horreur sont publiés dans des magazines shôjo… mais en France, on les met en Shônen ! Cet article explique plutôt bien en quoi la recatégorisation des mangas en France s’appuie sur des clichés sexistes.

 

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