Liar Game de Shinobu Kaitani


personne en chemise rouge et veste jaune lisant Liar Game de Shinobu Kaitani devant un buisson rouge

AAAAAAH, mais pourquoi j’ai autant attendu pour relire ce manga ? J’avais découvert Liar Game pour la première fois vers 2014, sur les conseils d’un ami – sans ça, je ne me serais jamais lancée dans un manga aux dessins aussi rebutants – et j’avais adoré. Je craignais d’aimer moins maintenant, puisqu’il date de 2005, et que je me souvenais de passages sexistes et transphobes.

J’ai fini par me lancer. Je me souvenais assez bien des premiers tomes, où Nao, une étudiante très naïve, se retrouve embarquée de force dans le Liar Game. Pour la première manche, elle reçoit cent millions de yens, et doit affronter un joueur ayant la même somme. Il y a peu de règles, à part que les organisateurs viendront récupérer la somme à la fin du mois : le joueur ne pouvant pas la rendre se retrouvera endetté d’autant. Car chaque joueur peut légalement prendre les cent millions de son adversaire, se constituant un gain à la fin du jeu.

Nao se retrouve promptement dupée et dépouillée, et, désespérée, s’adresse à un arnaqueur sortant de prison : Akiyama. Dans les trois premiers tomes, on suit plusieurs manches du Liar Game, de plus en plus complexes.

illustrations dénudées de Liar Game de Shinobu Kaitani
Pour une raison mystérieuse, les couvertures de chapitre sont hyper-sensuelles

C’est dans le tome 2 qu’est introduit·e Fukunaga, qui se présente comme une drag queen et était, selon l’analyse faite par mon frère et moi la première fois qu’on l’a lu, le personnage auquel les lecteurices sont censé·es s’identifier. En effet, en tant que lecteurice, on voit très bien quand quelqu’un ment à Nao, quand elle se fait avoir, et on ne se sent pas trop dans sa peau puisqu’on se dit que jamais on ne se ferait avoir comme ça. Les stratégies d’Akiyama, quant à elles, sont beaucoup trop complexes pour qu’elles nous viennent à l’esprit, et quand il révèle son plan, on se dit que jamais on n’y aurait pensé. Fukunaga est un parfait entre deux !

La représentation queer est… difficile à jauger, pour être honnête. D’un côté, on a une révélation de type « je vous ai trompé en faisant semblant d’être une femme » qui est typique d’un discours transphobe, d’un autre, personne ne se comporte de manière clairement transphobe ou homophobe.
Deux possibilités : soit l’auteur ne comprend rien à la transidentité, et a créé un personnage cool, accessoirement trans, sans vraiment se renseigner. Soit – et ça correspond bien au côté joueur de Fukunaga – le personnage trouve juste très fun de troubler les gens, et donne volontairement des informations contradictoires pour se moquer d’elleux.

De plus, il se peut qu’il y ait des erreurs de traduction : le personnage est toujours genré au masculin en français, ce qui ne fait pas toujours sens scénaristiquement.

En tout cas, c’est un personnage avec un super arc narratif !

Mais le personnage pour lequel j’adorais cette série, ce n’est pas Fukunaga : c’est Nao. Je me souvenais, intellectuellement, que ça m’avait touchée d’avoir une héroïne correspondant à des clichés féminins dénigrés… mais qui reste fidèle à ces caractéristiques, et prouve, au cours de l’histoire, qu’elle a raison. Je l’avais dit dans mes articles sur Library Wars et Les Âmes Vagabondes : c’était une époque où j’avais appris à mépriser la féminité. Être une femme, c’était ok; être une femme qui portait du maquillage, c’était mal. Les aventures de fantasy que je lisais me le répétaient encore et encore : la compassion et la naïveté étaient toujours les faiblesses du héros. Les femmes pleurnichaient et s’inquiétaient lorsqu’il partait affronter l’ennemi, qui utilisait son empathie contre lui.

Nao fait confiance à tout le monde, passe beaucoup de temps à pleurer, et tient des discours passionnés sur le fait que le but du Liar Game n’est pas de prouver qu’on est le meilleur menteur : c’est un test de solidarité, car si tous les joueurs se montrent honnêtes et collaborent, personne ne perd sa mise de départ, personne ne gagne non plus… et les organisateurs du jeu ne font aucun bénéfice. Pour elle – et pour Akiyama, qui a une dent contre les entreprises d’arnaque – les véritables adversaires, ce sont les organisateurs qui endettent les participants pour s’enrichir.

Dès l’arc des tomes 4 à 7, Nao m’a coupé le souffle. C’est la première fois qu’on a une manche de Liar Game sur plusieurs tomes et qu’on introduit un véritable antagoniste : Yokoya, peu subtilement comparé à Hitler et Kim Jong Un. Il considère que le Liar Game sert à séparer les gens entre dominants et dominés et met en place une dictature dans son équipe, avec des tactiques de terreurs, violences physiques, et délation.

Akiyama et lui s’affrontent sur un plan stratégique, mais cette partie comme celles qui suivent montrent que l’affrontement se passe aussi sur un plan idéologique et moral, et là, l’adversaire de Yokoya, c’est Nao. C’est là qu’on voit qu’être naïve n’est pas synonyme de « sans intelligence », puisque Nao fait preuve d’une grande intelligence émotionnelle.

Akiyama : « C’est souvent mal compris, mais douter des gens, c’est chercher à les connaitre. « La confiance » c’est très noble et tout, ok… Mais souvent, sous prétexte de faire confiance, en fait, on renonce à connaître les autres. C’est plutôt de l’indifférence.

Quand j’ai fait couler la boîte de vente pyramidale, j’en ai vu là-dedans, des salauds. Mais le plus dégueu dans ce système, c’est le nombre de ceux qui, la conscience tranquille, roulaient les autres. Ils se rendaient pas compte du mal qu’ils faisaient, car ils évitaient soigneusement de penser à la merde dans laquelle ils foutaient leurs clients.

Douter, ce n’est pas mal. Ce qui l’est, c’est d’en avoir rien à faire. »

couvertures de Liar Game de Shinobu Kaitani

Alors que c’est une série en 19 tomes, la fin est arrivée assez vite – un manga qui enchaine les jeux, ça pourrait devenir répétitif, mais ça s’est arrêté juste quand il fallait. Chaque manche apporte une brique de plus à Nao, permettant à la fin d’être assez cohérente. En effet, alors que Yokoya le dictateur se profile comme étant le grand adversaire de la finale, je me suis rendu compte que gagner le jeu contre lui ne serait pas vraiment une victoire : il est très riche, donc même en perdant le max, ça ne l’affecterait pas. Ce qu’il faut, c’est donc une victoire idéologique, et on sait grâce au match d’avant que c’est à la portée de Nao… mais comment ?

Et puis, depuis le début, ce qu’elle répète, c’est que les autres joueurs ne sont pas l’ennemi : celleux qui leur veulent du mal, ce sont les organisateurs. C’est le message depuis le tome 1 : quand tout va mal, quand on est désespéré et qu’on s’endette, il ne faut pas se déchirer entre personnes en galère, ou s’attaquer à celleux qu’on a monté contre nous. Il faut s’attaquer aux personnes qui ont créé la situation : le gouvernement, le système.

poster de la saison 2 de Liar Game japon, avec le visage de Nao d'un côté et celui d'Akiyama de l'autreposter de Liar Game corée, avec les visages de Nao, Akiyama et du présentateur tenant un masque

L’article est déjà long, mais je voudrais ajouter un mot sur les adaptations télévisées, que j’ai bien sûr regardées en 2015 – j’étais passionnée, je vous rappelle. Il y a eu une série japonaise de deux saisons, se concluant par deux films, et suivant l’histoire complète. J’ai vu la première saison avec mon frère et c’était génial – à condition de regarder à deux. C’est tourné dans un hangar avec zéro budget, les personnages sont mis au ralenti et dédoublés sur les scènes dramatiques, et parfois une scène est mise en boucle trois fois pour faire augmenter le suspense, le méchant à les yeux qui brillent d’une lueur verte lorsqu’il ricane… on dirait les films que je faisais à 14 ans, c’est hilarant.

Et le scénario est vraiment très, très bon. L’histoire est proche, mais certains éléments ont été modifiés, ce qui change aussi les stratégies. Même en connaissant le manga, on ne sait pas forcément comment Akiyama va gagner – par exemple, pour la première manche, la communication se fait par cassettes VHS au lieu de lettres… Or la stratégie du manga reposait sur les lettres, donc comment va-t-il faire ? Plus ou moins pareil, mais… différemment. J’adore quand je peux découvrir des choses même en ayant lu l’œuvre originale !

plein de gros pixels jaunes ne formant rien de reconnaissable
L’homme masqué sur l’écran annonce une règle, et au fur et à mesure de la phrase, on zoome dramatiquement sur l’écran cathodique, jusqu’à ce plan final : un zoom sur son œil… c’est ridiculement hilarant.

Il y a aussi une série coréenne inachevée qui, elle, a mis les moyens. Le Liar Game est un jeu télévisé, les participant·es sont transportées en hélico… l’antagoniste, qui est le présentateur, est beaucoup, beaucoup plus charismatique que les organisateurs du manga, ce que j’ai apprécié. Et le contexte différent permettait aussi d’avoir d’autres stratégies. Par contre, ils ont décidé de donner à Akiyama, Nao et au présentateur un sombre passé commun – un truc du style « ils ont grandi dans le même orphelinat », franchement, je me souviens plus, mais c’était cliché – ce que j’ai trouvé un peu nul. En tout cas, ça veut dire que si vous aimez le manga, vous avez de quoi rester dans l’univers avec les séries !

Radar à diversité : cast japonais, psi queer

Avertissements : secte, ambiance de dictature dans une équipe, insultes et trahisons, menaces d’endettement ou d’esclavage

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *