J’écris ces lignes dans le train, encore un peu assommée par ma lecture de Un Passé Englouti de Ava Reid. Depuis que j’ai découvert L’Encyclopédie Féérique d’Emily Wilde, je souhaitais désespérément lire un roman qui lierait fées et neurodivergence. J’avais une certaine idée en tête, et même des bouts de scénario… alors que Un passé Englouti ne suit pas du tout ce scénario que j’avais imaginé, sa manière de parler de fées et de handicap est exactement ce que je voulais voir. Je suis à la fois satisfaite et ébahie.
Effy est une jeune universitaire qui obtient le droit de construire un manoir en hommage à Myrddin, son auteur préféré. Les informations nous sont données au compte-goutte, ce qui maintient un suspense constant, mais je vais vous dévoiler ce que révèle le résumé : depuis toute petite, Effy voit le roi des fées, et on lui a prescrit des cachets et des somnifères pour apaiser son anxiété et pour empêcher ce que son entourage considère comme des hallucinations. Angharad, l’épopée de Myrddin, est le seul ouvrage qui légitime ses visions du roi des fées. Elle se reconnait dans l’héroïne capturée par le roi et trouve des techniques pour se protéger.
Lorsqu’elle se rend à la maison du fils de Myrddin, elle se retrouve dans une demeure délabrée, menacée par l’effondrement de la falaise, et un universitaire en littérature est présent aussi… pour prouver que Myrddin est un imposteur qui n’a pas écrit son roman. Vu l’importance que cette représentation a eu sur Effy, elle ne voit pas ce projet d’un bon œil.
Les avis s’accordaient à dire qu’Un Passé Englouti était un roman lent et atmosphérique, alors j’avais peur de m’ennuyer. Mais il y a tellement de tension que j’avais du mal à le lâcher. Ce n’est pas totalement de l’horreur, mais… c’est glauque. Flippant. Insidieux.
L’écriture est absolument magnifique, les descriptions nous plongent complètement dans l’histoire. J’ai surligné tellement de passages sur ma liseuse avec l’envie d’y revenir ! J’ai onze pages de notes et de citations… On sent l’angoisse d’Effy, l’atmosphère menaçante du manoir en ruine, l’eau qui s’infiltre partout, l’étrangeté glaçante de son hôte… Je me demandais toujours ce qui allait se passer. Est-ce que le roi des fées est réel, ou s’agit-il d’une manifestation de l’anxiété d’Effy ? Est-il une métaphore de la prédation des hommes sur les jeunes filles – thème omniprésent dans l’œuvre ? Comment Effy a-t-elle perdu son annulaire ?
« L’eau s’insinue dans les espaces les plus infimes et les fissures les plus fines. À l’intersection de l’os et du tendon, dans les lacérations de la peau. Elle est traîtresse et aimante. On meurt aussi facilement de soif que de noyade. »
Dans L’Encyclopédie Féérique d’Emily Wilde, j’avais été fascinée par le lien entre personnage neuroA et monde féérique, et depuis, je cherche désespérément un livre qui parle des changelins, êtres folkloriques utilisés pour justifier l’abus de personnes handies. Et avec Un Passé Englouti, j’ai enfin trouvé ce livre ! J’ai beaucoup aimé le traitement de l’anxiété et du PTSD d’Effy, ainsi que ce que je vois comme de l’autisme : c’était incorporé à la narration, pas juste présent lorsque le scénario l’exigeait.
Ça s’entremêle bien avec le propos sur le fait de croire les récits des femmes, et le fait que ne pas les écouter les isole et les mets en danger. Que ce soit quand il s’agit d’agression sexuelles, d’abus conjugaux, de plagiat, d’appropriation de leur travail… on aurait l’impression que le roman parle de plein de choses différentes, mais tout se retrouve dans la nécessité d’écouter les voix féminines.
« J’avais 18 ans, répéta son interlocutrice. Ce qui faisait de moi une femme, aux yeux de certains. Enfin… J’étais une femme quand ça les arrangeait de me juger coupable, une enfant quand ils préféraient se servir de moi. »
J’ai été moins emportée par la romance, et il y a une brève scène de sexe qui m’a sortie du récit, mais à part ça, mon seul – léger – reproche est le traitement de la xénophobie d’Effy. C’est une bonne idée d’avoir une héroïne xénophobe, pour nous rappeler que ce ne sont pas juste les personnes « maléfiques » qui sont oppressives. Effy est le fruit de son éducation. Je suis ravie qu’il n’y ait pas de grande explication de sa xénophobie – il n’y a pas à justifier, la société est xénophobe et elle y a grandi – cependant j’aurais aimé mieux voir comment elle déconstruit ce biais.
J’ai encore la gorge nouée après avoir fini ce récit. J’ai été si emportée ! J’ai vraiment dû réfléchir à certaines phrases, certaines affirmations. Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman que je trouvais excellent en plus de l’adorer. Si je passe un bon moment, c’est l’essentiel − le livre n’a pas besoin d’être un chef-d’œuvre de la littérature − mais c’est vraiment génial d’être époustouflée par la plume d’un ouvrage, par la profondeur de certaines phrases qui nécessiteraient une dissertation. J’ai presque envie de retourner en cours de Français pour analyser la métaphore récurrente qui lie eau et féminité tout au long de l’œuvre !
Radar à diversité : pp neuroA (anxiété, PTSD et peut-être autisme) et handi (annulaire coupé), li métis
Avertissements : attaques de panique, prédation sexuelle d’hommes adultes sur jeunes filles, psychophobie et abus médicaux (dénoncés), beaucoup de xénophobie, sexisme, violence générale (tentative de meurtre, mort d’animal, sang), relation toxique familiale, tempête et catastrophes climatiques, évocation d’abus conjugaux, évocation répétée d’agression sexuelle passée (prof adulte – élève mineure)