J’ai une préférence marquée pour les romans avec des personnages principaux que j’aime, vivant des aventures. C’est mieux si l’aventure est magique mais ce n’est pas obligatoire – ça peut être une romance – : tant qu’il y a de la tension et des péripéties, c’est bon pour moi ! Les deux romans dont je vais parler ne correspondent pas du tout à ça : Morwenna de Jo Walton est le journal intime d’une passionnée de lecture qui, jour par jour, raconte ce qu’elle pense des livres qu’elle lit, tandis que La Cité des Méduses d’Emmi Itäranta est une œuvre atmosphérique dont la narratrice s’efface devant la poésie de l’univers.
L’histoire est racontée par Eliana, une jeune Fileuse qui découvre une fille qui vient d’être agressée. Ses parents sont morts la même nuit, on lui a coupé la langue, et, sur sa main, le prénom d’Eliana est inscrit à l’encre invisible.
L’écriture est très poétique, et dans l’ensemble, assez loin d’un style que j’affectionne. Il y a peu de dialogues, la narratrice n’exprime pas ses émotions. J’imagine qu’on est censé les comprendre à travers les descriptions poétiques ? Je sais que la poésie exprime des émotions, mais j’y suis en général hermétique. Ça a été le cas ici aussi, mais même sans ressentir grand-chose, j’ai trouvé l’écriture magnifique, créant une atmosphère à la fois rêveuse, mélancolique et belle.
L’univers édifié sous cette plume est merveilleux – quoique sinistre – et j’ai adoré le découvrir au fil des pages. Le titre original signifie « la cité des rues tissées » et c’est un bien meilleur titre que La Cité des Méduses ! Certes, il y a des méduses chanteuses qui permettent de soigner, et une maladie les tue au début de l’histoire, mais elles ne sont pas si centrales… alors que le tissage est toute la vie d’Eliana. Je trouvais fascinante l’idée d’un quartier mouvant, dont les rues en toiles ne cessent d’être déplacées.
Le titre aurait aussi pu être La Cité des Songes Interdits. En effet, la ville a été frappée par une peste onirique par le passé, et depuis, toustes les Songeurses – celleux qu’on a surpris·es en train d’avoir des cauchemars – sont marqué·es et enfermé·es. J’ai beaucoup aimé que les cauchemars prennent la forme classique des légendes médiévales ! Eliana en a depuis longtemps et peine à cacher son secret, surtout lorsque Valéria, la fille qu’elle a trouvée, emménage dans sa chambre. Alors que la maladie des méduses se répand, la faute est attribuée au Songeurses et la loi se durcit. Eliana soupçonne toutefois un complot plus vaste.
Il y a un personnage secondaire intersexe qui explique que les mensonges du gouvernement ne concernent pas que les Songeurses, mais que la séparation nette des genres est également artificielle. Si c’est dommage que son intersexuation soit utilisée comme argumentaire, ça n’est pas non plus « la grande révélation » pour Eliana.
La Cité des Méduses était une belle lecture, qui n’est pas sans me rappeler les romans d’Estelle Faye tels que L’Arpenteuse des Rêves ou Un Eclat de Givre : l’accent est mis sur la créativité de l’univers, l’émotion de la narratrice est en retrait, et elle s’efface derrière l’écriture poétique. Le récit était toutefois prenant, et j’ai passé un bon moment.
Jo Walton a l’art de proposer des récits originaux sortant des normes de la narration. J’avais adoré Mes Vrais Enfants comme Pierre-de-Vie, et c’est dans la suite logique que je me suis penchée sur Morwenna.
En 1979, Morwenna est une ado dont la jumelle vient de mourir et qui doit utiliser une canne suite à leur accident. Elle fait appel aux services sociaux pour fuir sa mère maléfique, mais au lieu de se retrouver confiée à la tante qui l’a élevée, elle est envoyée chez son père, qui avait fui à sa naissance – parce que pour les services sociaux, la filiation est plus importante que l’affection.
On lit son journal intime, avec le récit de ses cours, de ses tentatives de liens avec les autres élèves, et de ses lectures – elle est passionnée de SF. Elle analyse les livres, les compare à d’autre, réfléchit à ce qu’ils impliquent.
« Puis il y a la façon dont on parle de sexe à l’école et à l’église. Et il n’y a pas de sexe, pratiquement pas d’histoires d’amour du tout, dans la Terre du Milieu, ce qui me fait toujours penser que le monde se porterait mieux sans. […] Donc le sexe est un mal nécessaire pour produire des enfants. C’est normal.
Mais, d’un autre côté, j’ai des sentiments liés au sexe. Et Triton, Heinlein et L’Aurige me font penser qu’en fait le sexe en lui-même est neutre, c’est sa diabolisation par la société qui le rend dégoûtant. Et les histoires de changement de sexe de Triton impliquent qu’il peut y avoir tout un spectre de la sexualité, la plupart des gens se situant quelque part au milieu, attirés par les hommes ou les femmes, et certains en dehors – moi à un bout, Ralph et Laurie à l’autre. Ce qui m’a toujours plu dans la science-fiction, c’est qu’elle vous fait réfléchir et regarder les choses sous des angles auxquels vous n’auriez jamais pensé.
Désormais, je considérerai le sexe de manière positive. »
Morwenna est capable de voir les fées galloises, et d’accomplir des actes magiques en suivant leurs consignes étranges. Les moments où elle risque sa vie pour sauver le monde ont la même place que les autres : ça prend une page, entre deux analyses de romans.
C’est très spécial, et je ne dirais pas que c’est passionnant. Mais ce livre est prenant ! J’ai vraiment aimé suivre les réflexions de Morwenna. Elle a un peu la même façon d’analyser et de réfléchir à tout que moi…
« Il me rejoint encore demain à Gobowen. Il a l’air de trouver que ce n’est pas nous voir très souvent, mais je pense que c’est beaucoup. J’ai besoin de temps entre deux rencontres pour réfléchir… et pour tout écrire ! »
Un reproche à l’édition : Mori est métisse pakistanaise et utilise une canne – elle a des douleurs à la jambe et boite. La gamine blonde qui court dans les champs est quelque peu à côté de la plaque !
Le titre anglais, Among Others, reflète bien mieux le personnage : Morwenna a du mal à se lier aux autres, elle ne comprend pas leurs réactions et les analyse beaucoup. Se mêler à ses camarades lui demande un réel effort. J’ai beaucoup connecté à cet aspect de sa personnalité, tout comme au fait qu’elle est très distante des préoccupations romantiques.
« Je ne suis pas sûre de vouloir jamais me marier. […] Je veux quelqu’un avec qui parler de livres, quelqu’un qui serait mon ami, et pourquoi ne pourrions-nous pas faire l’amour si nous en avons envie ? »
Son esprit analytique peut donner l’impression qu’on est face à une narratrice fiable, mais non. Elle a notamment une vision peu nuancée des gens – soit elle leur fait confiance, soit non – et ne semble pas arriver à voir les défauts de ceux qu’elle aime. Elle apprend au fil du récit, mais il lui reste du chemin à parcourir…
Morwenna est une lecture agréable, plutôt tranquille et pleine de réflexions intéressantes. J’ai beaucoup aimé que la magie soit floue et discrète ! Ce n’était pas une lecture passionnante, mais ça m’a plu de me retrouver en Morwenna.
Ça fait du bien, de temps en temps, de lire un roman dont l’ambiance est très différente de ce dont j’ai l’habitude. J’avais déjà apprécié Un Eclat de Givre, roman poétique porté sur les descriptions dont le scénario n’était là que pour nous faire explorer le monde. Ni La Cité des Méduses ni Morwenna ne rejoindront mes lectures préférées, mais c’étaient des livres qui m’ont offert un moment agréable, et qui me rafraichissent les idées en me proposant une vision originale. J’ai vu que Jo Walton avait d’autres livres traduits en français, et j’ai hâte de m’y plonger !
Radar à diversité La Cité des Méduses :pp saphique, couple f/f, li muette, ps intersexe
Avertissements : mutilation, emprisonnement, travail forcé, mégenrage, araignées
Radar à diversité Morwenna : pp pakistano-galloise avec douleurs chroniques/boiteuse aro, ps lesbienne
Avertissements : deuil, psychophobie, agression sexuelle incestueuse et pédophile, début de scène de sexe alcoolisée, putophobie
2 réflexions sur « Morwenna de Jo Walton et La Cité des Méduses de Emmi Itäranta : Fantasy d’ambiance »