Celle que Je Suis et Je ne suis pas Née dans le Bon Corps : Mangas avec des femmes trans

Je suis assez étonnée de constater que c’est la première fois que je parle ici de mangas avec une femme trans pour personnage principal. J’en lis donc si peu ? Il est grand temps de m’y mettre, et voici, pour commencer, mon retour sur Celle que Je Suis de Bingo Morihashi & Suwaru Koko et Je ne suis pas Née dans le Bon Corps de Mafuyu Konishi.

personne en pull bleu lisant Celle que Je suis de Bingo Morihashi & Suwaru Koko allongée sur de l'herbe givrée
Celle que Je suis de Bingo Morihashi & Suwaru Koko

J’ai lu le tome 1 de Celle que Je suis au moment de sa sortie, lors d’un passage à la librairie Violette & Co : debout près de la caisse, je l’ai feuilleté vite fait, et je n’ai pas trop accroché. Mélancolique, lent, terne et un peu cliché, je ne voyais pas vraiment l’intérêt…

Par la suite, j’ai appris qu’une personne qui m’est très chère avait beaucoup aimé les deux tomes. Etais-je passée à côté de quelque chose ? Vu mes conditions de lecture, c’était bien possible !

Je l’ai acheté à mon tour pour lire l’intégrale tranquillement sur mon canapé. Et, en effet, ça m’a beaucoup plu. L’histoire n’est pas lente, elle est douce et tranquille, pleine de douleur et de mélancolie. Le personnage principal est une femme trans qui a toujours refoulé cette part d’elle… jusqu’à ce que sa sœur oublie une robe chez elle. Manase commence alors à explorer sa féminité. J’ai été très touchée par les réflexions qu’elle a, en particulier lorsqu’elle rencontre d’autres personnes queer qui la soutiennent – un jeune hôte gay et une barman trans.

couverture de Celle que Je suis de Bingo Morihashi & Suwaru Koko

En finissant le deuxième tome, j’étais enthousiasmée, mais je restais aussi sur un goût de trop peu. Et, plus j’en discutais avec mes ami·es, plus je me rendais compte que je n’avais considéré qu’une partie de l’histoire.

Ça me le fait souvent, quand j’aime bien une œuvre : au moment où je referme le livre, j’ai déjà oublié tout ce qui m’avait contrariée au cours du récit. Et ici, il y avait de quoi ! En effet, il y a d’autres personnages que Manase et je n’ai pas aimé leur histoire. Le fait d’être stérile est présenté comme un drame – le sujet de la stérilité mérite d’être traité, mais avec plus de nuance – et on y voit une fille « garçon manqué » devenir plus féminine pour séduire un mec qui couche avec elle, la quitte en lui brisant le cœur, puis revient, elle est heureuse et c’est la fin. C’est… un peu nul.

J’ai l’impression que ce manga était prévu comme une série plus longue, et que c’est pour ça que l’histoire commence à s’ouvrir vers d’autres personnages et d’autres fils narratifs. Puis la publication a été annulée, l’auteur a vite fait publié un dernier chapitre, et voilà.

C’est dommage, mais si, comme moi, on se concentre sur l’histoire de Manase, Celle que je Suis est un beau manga avec des scènes touchantes et des conversations éclairantes.

personne en manteau rouge lisant Je ne suis pas née dans le bon corps : Récit de mon changement de sexe de Mafuyu Konishi devant un croisement et des feux de circulation verts
Je ne suis pas née dans le bon corps : Récit de mon changement de sexe de Mafuyu Konishi

Quand j’ai vu le titre de ce manga en librairie, « Je ne suis pas née dans le bon corps », j’ai eu des doutes. La couverture est très sensationnaliste, et la formulation est désapprouvée par les personnes trans que je connais. Mais, dans le résumé, j’ai constaté que c’était une autobiographie, ce qui est très différent : si Mafuyu considère qu’elle est née dans le mauvais corps, c’est son vécu et je n’ai rien à y redire. J’ai d’ailleurs découvert par la suite que le manga précise que c’est une vision personnelle de la transidentité, qu’il ne faut en aucun cas généraliser.

Un·e ami·e me l’a ensuite spécifiquement conseillé, arguant qu’iel avait eu des doutes au départ mais que Je ne suis pas née dans le bon Corps l’avait agréablement surpris·e. Je l’ai donc emprunté et j’ai commencé ma lecture le soir même.

Dès le premier chapitre, on est plongé dans une ambiance humoristique et déjantée. Absolument transparente, Mafuyu nous explique qu’elle va nous relater sa CRS – Chirurgie de Réassignation Sexuelle – en Thaïlande. Son épouse est restée au Japon s’occuper des chats, et Mafuyu a donc engagé une agence spécialisée pour l’accompagner.

Je ne suis pas née dans le bon Corps est un manga éducatif qui explique dans les moindres détails ce qu’implique une CRS. Mafuyu nous présente les différentes options, les avantages et les inconvénients, et on a même des informations supplémentaires entre les chapitres, dans des sortes de « carnets de notes » – elle donne par exemple des indications sur la manière de se faire rembourser.

Et, bien sûr, on voit son parcours individuel, avec les particularités que ça implique. La méthode qu’elle a choisie laisse souvent ses patientes épuisées dans les cinq jours qui suivent l’opération, mais elle-même était en pleine forme ! Jusqu’à ce qu’elle doive partir, et qu’elle se rende compte que la position allongée avait bloqué ses selles – oui, quand je disais que tout est expliqué en détail, je n’exagérais pas : on découvre aussi que se retenir d’aller aux toilettes est différent selon l’appareillage génital, et que c’est quelque chose qu’elle a dû réapprendre. Elle rencontre également des difficultés liées à sa peau sensible et à sa passion pour les douches !

couverture de Je ne suis pas née dans le bon corps : Récit de mon changement de sexe de Mafuyu Konishi

Le ton est très dramatique, enjoué, toujours dans l’extrême émotionnel, que ça soit pour ses joies ou ses peines. Les chapitres se terminent sur des phrases-choc telles que « je ne me doutais pas que mon séjour allait tourner à l’horreur dès le lendemain ». Elle passe quand même une bonne partie du manga dans la douleur, alors heureusement qu’elle présente ça avec humour ! La lecture serait sinon très difficile. Éducatif ou pas, ce manga est une bonne tranche de rigolade.

Toutefois, au milieu de toute cette bonne humeur, c’était parfois un peu dur pour moi de voir évoquées des lois très transphobes. En présentant la loi pour le changement d’état civil, Mafuyu commente que c’est ballot : comme la loi requiert qu’elle ne soit pas mariée, et qu’elle refuse de divorcer de son épouse, c’est impossible pour elle de changer le M en F sur sa carte d’identité – l’accès à l’emploi devient compliqué. Elle dit ça de manière drôle, mais… c’est horrible ?! Les autres critères sont par exemple de ne pas avoir d’enfant mineur, et de se faire stériliser… c’est horrible aussi ! Pareil pour l’évaluation psychologique, c’est injuste de « filtrer » ainsi les personnes qui ont droit ou non à transitionner légalement et physiquement. Ces passages me faisaient l’effet de claques, et je n’arrive pas à savoir si c’est volontaire, ou si Mafuyu souhaitait seulement ne pas s’appesantir sur cette réalité douloureuse.

Il y a de plus en plus de témoignages de femmes trans, mais Je ne suis pas Née dans le Bon Corps est unique en son genre pour plusieurs raisons. Bien qu’il présente un parcours difficile, il est humoristique, dramatique et déjanté. C’est assez exceptionnel, car comment parler avec humour de douleur sans pour autant la minimiser ? Mafuyu réussit avec brio ! De plus, son manga n’est pas qu’un témoignage : c’est un guide très détaillé et utile, et ce, sans que la pédagogie n’appesantisse le récit. L’édition a aussi fait un bon boulot en ajoutant deux pages explicatives à la fin, donnant notamment des références françaises sur les lois et mettant en perspective les propos de l’autrice.

Et puis, la plupart des récits trans semblent se concentrer sur la « prise de conscience » et le coming-out : Je ne suis pas Née dans le Bon Corps se focalise sur un thème assez peu présent – alors même que les cis semblent obsédé·es par « L’Opération ».

Je gardais de ce manga une impression globalement amusante, mais à la relecture, j’ai aussi constaté que j’avais fait abstraction de beaucoup de moments désagréables, et que ce n’est, dans l’ensemble, pas une lecture aussi détendante que dans mes souvenirs. N’empêche, il permet de se renseigner de manière pointue sur un sujet peu abordé avec ce niveau de détail.

Je voulais ouvrir cet article en listant d’autres mangas avec des héroïnes trans que j’aimerais lire. Et c’est là que j’ai compris que si je n’en avais lus que deux, c’était aussi parce qu’il y en a très peu à être traduits en Français… j’espère que les années à venir nous en apporteront davantage ! Surtout que ces deux premiers ouvrages sont prometteurs pour la suite : parfois, j’ai l’impression de toujours lire la même représentation et la même histoire, mais ce n’est pas du tout le cas ici. Rien qu’avec deux mangas, on nous présente deux femmes trans dont la personnalité et le parcours sont on ne peut plus différents ! Reste à avoir davantage d’ouvrages pour offrir plus de choix de lecture…

Radar à diversité Celle que Je Suis : cast japonais, héroïne trans, personnage secondaire gay et hôte, auteurice trans

Avertissements : sexisme, relations sexuelles, stérilité

Radar à diversité Je ne suis pas Née dans le Bon Corps :cast japonais et thaïlandais, narratrice trans, coule f/f, #ownvoice

Avertissements : description détaillée de chirurgie génitale et de ses conséquences, transphobie, psychophobie (soutenue par l’autrice mais dénoncée dans la note d’édition)

 

Une réflexion sur « Celle que Je Suis et Je ne suis pas Née dans le Bon Corps : Mangas avec des femmes trans »

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