Kamakura Diary et All My Darling Daugters : Mangas Quotidiens des Années 2000 interrogeant la Société

Je ne suis pas fan de quotidien, parce que, globalement, je n’y trouve pas assez de suspense pour me donner envie de lire la suite. C’est donc assez rare que j’accroche jusqu’au bout, et puisse faire un retour sur une œuvre complète… mais les mangas Kamakura Diary de Akimi Yoshida et All My Darling Daugters de Fumi Yoshinaga ont pour moi fait figure d’exception !

personne en chemise verte nouée lisant Kamakura Diary de Akimi Yoshida allongée sur un tapis de feuilles mortes
Kamakura Diary de Akimi Yoshida

J’ai beaucoup hésité à rédiger un article sur Kamakura Diary, et initialement, je n’avais pas prévu de le faire : je n’ai donc pas pris de notes au fil de ma lecture sur trois mois. Si je faisais un véritable retour dessus, il me faudrait neuf tomes moi aussi : il y a vraiment de quoi dire. Comme je n’ai pas la motivation d’écrire autant sur un manga que j’ai trouvé sympathique, sans qu’il fasse partie de mes préférés pour autant, je choisis de faire une esquisse d’avis plutôt qu’une analyse détaillée.

couverture du tome 1 de Kamakura Diary de Akimi Yoshida

Kamakura Diary est une série qui pousse à l’extrême le concept de tranche de vie. On y suit le quotidien d’habitant·es de Kamakura, en particulier celui de trois sœurs adultes et de leur demi-sœur de onze ans, qu’elles adoptent suite à la mort de leur père commun.

Quand je dis « le quotidien » : on voit tout. On les voit se souhaiter une bonne journée de travail, puis discuter avec leurs collègues ou leurs camarades de classe, réfléchir à ce qu’elles vont manger à midi, bavarder avec le personnel de cantine, commenter leur repas, parler en mangeant, retourner au travail, s’interroger sur un problème survenu. C’est donc à peu près aussi intéressante qu’une vie : la mienne peut être passionnante à raconter lorsque je vis un évènement exceptionnel, ou lorsque j’ai un débat avec un·e ami·e, et un peu moins lorsque je me brosse les dents.

Mais ça fait que chaque tome offre matière à réflexion. Les premiers au sujet du deuil, des rencontres, de l’adultère, du handicap, de la place des filles dans une équipe de foot mixte, de la manière d’apporter son soutien. On a beaucoup de points de vue, très humains : celui d’habitant·es d’un petit village dans les années 90. Ça ne les empêche pas de se demander où est la limite entre pitié et compassion, s’il faut encourager quelqu’un dans un rêve impossible ou le critiquer dès le début, s’il faut célébrer les petites victoires ou prévenir sur les échecs – dans le cadre du capitaine de l’équipe de foot qui est amputé de la jambe.

De même, si les personnages ont une vision genrée et hétérocentrée du monde, ça ne les empêche pas de réfléchir.

(voici un extrait, avec les pensées en italiques, et les commentaires de la mangaka en gras)

A : B… Tu es une vraie fille …

B : Pardon ? Qu’est-ce que tu insinues ?

A : Ah… Euh… Je veux dire… B… place ses intérêts de celui qu’elle aime avant les siens. Je me rends compte que tu adores vraiment ton amoureux.

Contrairement à ce que son apparence pourrait laisser croire… (←c’est pas sympa !)… B a vraiment un cœur de jeune fille.

Mais…

Est-ce vraiment une bonne chose ?

Il n’y a que B qui se sacrifie ! Est-ce que c’est bien, ça ? Mais si elle est contente comme ça… Enfin, je ne peux sans doute pas la critiquer…

En revanche, j’ai l’impression que la traduction n’est pas très bonne, les phrases me paraissaient souvent ampoulées, comme si c’était du mot à mot ! Comme il y avait beaucoup de texte, et que l’histoire est très quotidienne, j’ai mis à peu près une semaine pour lire chaque tome : un record, pour un manga si petit ! Mais n’empêche, c’est une histoire douce et bienveillante, qui traite de nombreux thèmes avec justesse.

personne en chemise rose et short lisant All my Darlings Daughters de Fumi Yoshinaga devant une rivière et berge de feuilles mortes
All my Darlings Daughters de Fumi Yoshinaga

All my Darlings Daughters s’ouvre sur une fille de trente ans qui habite chez sa mère. Lorsque celle-ci se met en couple avec un jeune homme de vingt-sept ans, elle essaie de le cerner sans provoquer de conflit.

J’ai bien aimé que d’office, l’autrice nous mette dans une situation tendue, et nous montre tous les points de vue. La résolution est abrupte et ne résout pas grand-chose, mais on passe alors à des récits centrés sur des personnages secondaires.

Heureusement que j’ai lu les avis Goodreads en enregistrant ma lecture : la deuxième histoire était horrible et m’avait mise si mal à l’aise que je l’avais rayée de ma mémoire. Quand les commentaires en parlaient, j’ai cru au début qu’ils évoquaient la 3e, que j’avais adorée, et je suis tombée des nues en voyant quelqu’un discuter de relation prof-élève et de culture du viol. Ah bon ? Vraiment ? Ce sont seulement des descriptions plus précises qui m’ont permis de me souvenir. C’est un peu flippant, ce genre de trous de mémoire ; est-ce qu’il y a d’autres choses que j’ai shuntées sans jamais en prendre conscience ?

couverture de All my Darlings Daughters de Fumi Yoshinaga

J’ai cependant adoré l’histoire d’après. Je l’aime d’autant plus que j’ai vu la perplexité des autres lecteurices : mais pourquoi donc le personnage principal souhaite-t-elle avoir un mariage arrangé ? De mon côté, j’ai parfaitement compris ses raisons : elle n’est jamais tombée amoureuse, et comme le mariage reste une condition au bonheur, elle s’y essaie. Autant qu’on lui présente des hommes ayant le même objectif qu’elle, et qui correspondent à certains critères. La marieuse est une sorte d’appli de rencontre humaine, non ?

J’ai vraiment apprécié que dans cette histoire, l’aromantisme découle de la neurodivergence. Son entourage reproche à l’héroïne d’être trop sage : elle ne sait pas déterminer spontanément quelle est la bonne attitude, alors elle s’en tient aux règles qu’on lui donne. Son grand-père lui a dit de ne pas discriminer, de voir tout le monde avec bienveillance, alors, même quand elle aime un homme, elle ne peut pas affirmer avec certitude qu’elle l’aime plus que ses amies.

La fin est un peu douce-amère, pour moi, même si elle fait sens. Elle ne trouve pas sa place en tant que femme dans la société, alors elle change de société. J’ai bien aimé voir la réaction qu’a le personnage principal hétéro à ce vécu : la panique et la remise en question de ses propres sentiments. C’est peut-être pour ça que les gens sont aussi agressifs dans leur volonté de nier l’aromantisme : ça les questionne trop ?

L’histoire d’après m’a fait pleurer. Je ne vais pas trop spoiler, mais on y voit trois amies avec des volontés féministes, et comment la réalité de la société casse leurs rêves un par un. Et pourtant… il reste un espoir…

On finit sur la relation entre la mère du début et sa propre mère : j’ai trouvé ça très intéressant. Le trauma de l’une provoque celui de l’autre… C’est triste, et en même temps, elles étaient très humaines dans leurs erreurs et leurs réussites.

All My Darling Daughters est un manga qui me laisse mitigée. Les premières histoires présentaient des situations malaisantes qui auraient dû être mieux traitées, ou pas abordées, mais la suite m’a vraiment émue. C’est une œuvre qui se penche sur des sujets complexes et les traite de manière intéressante quoiqu’imparfaite.

Un des avantages des histoires de quotidiens, c’est qu’elles permettent de discuter de sujets variés de manière nuancée. Quand je lis l’aventure d’une héroïne qui lutte contre le sexisme grâce à du street art, c’est plus prenant, mais l’histoire est alors centrée sur un unique thème, avec une prise de position claire. Kamakura Diary comme All My Darling Daughters invitent davantage les lecteurices à prendre en compte diverses opinions et réalités, pour arriver à leurs propres conclusions. Bien sûr, le choix des situations et la manière de présenter nous guide, et je pense que pour la plupart, on arrive à la conclusion souhaitée par les autrices. Mais ça nous implique bien plus !

Radar à diversité Kamakura Diary : cast japonais, personnage important avec un handicap physique

Avertissements : deuil, amputation (mentionnée), accident de montagne

Radar à diversité All my Darling Daugters : cast japonais, personnage important aro ace et neuroA

Avertissements : non-consentement, relation sexuelle prof-élève, couple avec une grande différence d’âge

 

Une réflexion sur « Kamakura Diary et All My Darling Daugters : Mangas Quotidiens des Années 2000 interrogeant la Société »

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