Surnaturel ? Underwater, Ary, Les Enfants des Sables Mouvants

J’aime quand des livres introduisent de la magie dans notre monde. Ça fait rêver ! Mais certaines œuvres m’interrogent : est-ce du contemporain ou du fantastique ? Est-ce de la magie ou non ? Morwenna de Jo Walton traite d’une magie toujours plausible : lorsque l’héroïne exécute un rituel pour détruire une entreprise, cette destruction est annoncée le lendemain par les journaux comme le résultat d’un long procédé décisionnel. On pourrait penser que le sortilège de Morwenna n’a pas fonctionné ; mais d’après elle, c’est ce sortilège qui a créé l’existence du comité décisionnel, allant jusqu’à modifier le passé.

D’autres livres essayent de brouiller les lignes. Est-ce de la magie ? Est-ce que le personnage rêve ? Est-ce une religion, est-ce totalement réel ? On me dit souvent que certains évènements de la vie réelle sont si improbables que dans un roman, les lecteurices diraient que ce n’est pas crédible. Et dans la vraie vie, il se passe parfois des choses sans explication. Une nuit, j’ai été réveillée par une alarme, et je suis restée longtemps à chercher son origine une fois qu’elle s’est éteinte. Est-ce c’était ma chaudière ? Est-ce que j’ai rêvé ? Ai-je rêvé l’alarme seulement, ou ai-je aussi rêvé que je cherchais sa source ? Je ne le saurai jamais.

Je déteste m’interroger sur la réalité de mon propre vécu, par contre, quand il s’agit de fictions, je trouve ça passionnant. Ary, une bande-dessinée avec un voyage initiatique, Underwater un manga abordant le trauma générationnel et Les Enfants des Sables Mouvants jouent très bien à ce jeu.

personne en débardeur Le Château Ambulant lisant Ary tome 1 de Rolling Pen & Catmouse James devant des arbres ensoleillés
Ary Tome 1 de Rolling Pen & Catmouse James

J’ai découvert le premier tome de cette bande-dessinée dans la bibliothèque associative de mon quartier. J’avoue que je l’ai empruntée un peu par dépit : il n’y avait pas beaucoup de choix, mais j’ai envie de m’intégrer dans la vie de mon quartier…

J’ai été agréablement surprise : c’est une œuvre malgache qui suit les aventures d’Ary, jeune fille qui, en raison de la pâleur de sa peau, est sacrifiée par son village dans l’espoir d’apaiser la malédiction qui les prive d’eau. Elle s’engage alors dans une quête magique afin d’arrêter la sècheresse.

Je me permets de vous révéler un des éléments surprenant du premier – il y a 3 tomes, vous aurez les autres sans spoil – : il y a une explication non-magique à l’aventure d’Ary. Articles journaux et scènes avec des personnages secondaires permettent de voir qu’en parallèle, le gouvernement œuvre à fournir de l’eau à la région. Les combats entre créatures fantastiques auxquels Ary assistent peuvent aussi se justifier par la météo… alors, que s’est-il vraiment passé ?

Je n’ai pas vraiment accroché à la quête d’Ary en tant que telle – c’est assez classique, et j’ai vraiment lu trop de fantasy pour apprécier ça sans un petit plus – mais justement, il y a une couche d’interprétation par-dessus cette aventure. A nous de tirer nos propres conclusions… c’est super intelligent et bien fait !

personne en pull bleu lisant Underwater : Le village Immergé de Yuki Urushibara devant devant une rivière
Underwater : Le village Immergé de Yuki Urushibara

J’ai adoré Underwater quand je l’ai lu la première fois, et bien sûr, j’ai tout de suite voulu écrire un article pour vous en parler. Mais, face à mon clavier, la panne sèche. Cette histoire est si particulière… comment la décrire sans m’attarder sur chaque page ? Et puis, c’est une personne chère qui m’avait conseillé ce manga en deux tomes, nous en avions discuté, et j’avais du mal à me détacher de ces émotions-là pour offrir une analyse : cette histoire est émotionnelle et floue ; insaisissable, d’une certaine manière.

J’ai conclu que ce n’était pas grave, je ne ferais pas d’article. Ça pouvait rester une œuvre que j’apprécie pour moi, sans besoin de la décortiquer et de mettre des mots sur mon ressenti.

Mais elle allait juste trop bien avec ce thème.

Dans Underwater, on suit Chinami, une jeune nageuse qui fait un malaise en pleine canicule. Elle se réveille sous la pluie, au bord d’une cascade, et rencontre Sumio, un garçon qui la ramène à son village. Celui-ci est étrangement désert, et le père de Sumio paraît familier à Chinami.

Lorsqu’elle se réveille et raconte son rêve, sa famille est troublée. Sa mère partage-t-elle cette expérience ? Sa grand-mère connaît-elle la maison décrite ? Et Sumio ? Le niveau de l’eau qui descend au fil de la canicule révèle un passé enfoui, partagé par plusieurs générations…

couverture de Underwater : Le village Immergé de Yuki Urushibara

Passé et présent s’entremêlent dans ce récit. Ce n’est pas sans me faire penser à Les Indésirables, où Kiku revit le passé traumatique de sa famille au travers de rêves que sa mère a eu aussi à son âge. J’aime beaucoup cette idée, et dans Underwater, elle permet de transmettre une grande émotion.

Ça montre aussi l’impact d’une décision anodine : le gouvernement a déplacé tout un village pour construire un barrage. Les habitant·es ont dû quitter leurs foyers, à présent inondés. Faible prix à payer pour fournir la région en électricité ? Cinquante ans plus tard, la peine semble toujours aussi forte à travers les non-dits. Sécheresse d’un côté, pluie sans fin de l’autre, le thème de l’eau était partout, et chargé de signification.

Il faut préciser aussi que j’adore l’eau.

Je ne considère pas du tout Underwater comme un récit « magique ». Il a une ambiance surnaturelle, mais on y parle surtout de connexion intergénérationnelle à travers les rêves, et je trouverais un peu bizarre de voir ça comme de la magie. Les rêves, c’est étrange. Parfois, je me réveille en étant convaincue que ce que j’ai vu est réel. Parfois, je retrouve dans mon sommeil des choses qui me sont familières, que je connais bien, et que je suis incapable de situer réveillée. Dans mes rêves, je SAIS. Je connais l’identité des personnes à mes côtés, même quand l’apparence ne correspond pas, je sais que je suis à Berlin même si les lieux n’ont pas cette apparence, je sais qu’une rue est maléfique, qu’une autre est sûre.

Je vois souvent les rêves traités comme concrets dans les livres de fantasy. Dans Percy Jackson, les personnages y voient des évènements réels ! Mais c’est un livre où, par ailleurs, tout est magique. Ça m’a fait plaisir qu’Underwater accorde de l’importance aux rêves dans un contexte réaliste.

Underwater était une excellente lecture, très touchante, et dont j’ai pu discuter longtemps. Deux tomes, c’est court, mais l’histoire comporte de multiples facettes, du mystère et des implications à creuser !

personne en chemise rouge lisant Les Enfants des Sables Mouvants de Efua Traoré au soleil devant une prairie verte
Les Enfants des Sables Mouvants de Efua Traoré

Je suis tombée sur Les Enfants de Sables Mouvants par hasard, et c’est sa jolie couverture scintillante qui a attiré mon attention. Toutes les premières pages de chapitres sont également décorées, ce qui en fait un livre très joli !

On y suit Simi, jeune Nigériane de Lagos que sa mère envoie chez sa grand-mère pour l’été. Jusqu’alors, Simi croyait que celle-ci était morte, tellement sa mère refusait d’évoquer le passé… et la voilà qui se retrouve dans un petit village au bord d’une étrange forêt, sans internet, sans électricité, sans eau courante !

Là aussi, j’aurais du mal à qualifier ce livre d’ouvrage fantastique. C’est plus trouble que ça, car la « magie » relève de phénomènes surnaturels religieux ou culturels. Comme pour beaucoup de religions, ça a un aspect très concret : il ne pleut pas, c’est la colère de la déesse de l’eau ; un orage s’annonce, c’est qu’elle se dispute avec sa sœur. Difficile à réfuter !

Tous les dix ans, des enfants disparaissent dans le lac. D’après une légende, c’est pour rejoindre un autre monde, mais beaucoup supposent que ce sont des accidents dus aux sables mouvants.

Quelle est la vérité ? Les Enfants des Sables Mouvants est moins ambigu qu’Ary, car Simi voit dès le début l’univers du lac. Elle suppose cependant que c’est un rêve ou une hallucination.

Pour moi, l’ambiance joue beaucoup : et ici, on a une atmosphère merveilleuse – les descriptions, l’aventure – sans que ça soit pour autant une ambiance de fantasy – beaucoup de discussions très concrètes, de scènes dans un univers contemporain et réaliste. Certains éléments surnaturels sont moqués par la prêtresse de la déesse de l’eau ! Les deux aspects – réalisme contemporain et magie – sont habilement mêlés. Jamais je n’ai eu l’impression que c’était notre monde, avec des éléments surnaturels qu’on « rajoute ». Tout allait ensemble, et j’ai beaucoup aimé cette cohésion. Mais c’est d’autant plus difficile de trancher : fantasy ou contemporain ?

J’aime les aventures, et j’aime les ambiances surnaturelles, j’ai donc passé un très bon moment à lire Les Enfants des Sables Mouvants. J’étais emportée, intriguée, et c’est une jolie œuvre qui fait rêver.

couverture de Les Enfants des Sables Mouvants de Efua Traorécouverture de la BD Ary de Rolling Pen & Catmouse James

J’ai lu énormément de fantasy et de fantastique, alors ça me fait du bien, de retrouver des scénarios habituels, mais qui bousculent les codes et m’interrogent sur ce que je lis. Je ne crois pas que je puisse volontairement chercher ce type d’œuvres pour en lire davantage, mais j’espère tomber par hasard sur d’autres livres qui utilisent le surnaturel de manière originale.

Radar à diversité Ary :pp métisse, cast malgache #ownvoice

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