Parfois, je culpabilise de ma lenteur à publier mes articles. Viendra le Temps du Feu de Wendy Delorme est sorti en mars 2021, je l’ai lu en avril 2023… mais comme souvent, je tarde à rédiger mon avis, et quand je le publie enfin, tout le monde semble s’être désintéressé du roman.
Cette fois-ci cependant, je pense que c’était bien d’attendre. Bien et… inquiétant, car Hacker la Peau comme Viendra le Temps du Feu se passent légèrement dans le futur. Quelques années après la publication, c’est en quelque sorte maintenant.
Les dystopies qui nous montrent une horrible société futuriste ont tendance à m’angoisser ; mais ce n’est rien par rapport à celles qui se situent juste un pas dans l’avenir. C’était le cas de Résistance de Samira Ahmed, qui partait des lois de Trump et imaginait un futur proche où les musulmans seraient internés à la manière des Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Sachant qu’il y avait déjà des mesures similaires en Chine, c’était glaçant de réalisme. Nous Sommes La Poussière de Plume D. Serves m’a encore plus stressée, car ça se passe en France…
Hacker la Peau comme Viendra le Temps du Feu m’ont fait le même effet : techniquement, c’est de la Science-Fiction, ça se passe dans une France future aux lois plus répressives… mais ça ne parait pas si loin. Certaines scènes semblent directement tirées de notre quotidien actuel.

J’avoue, j’ai la pression en rédigeant cet article : un·e de mes ami·es a tellement adoré Viendra le Temps du Feu de Wendy Delorme qu’iel a rédigé un essai dessus ! Et puis, j’ai manqué la séance du club de lecture où on devait en discuter, je ne peux donc pas confronter tant d’avis que ça pour vous faire le retour le plus pertinent possible.
Viendra le Temps du Feu m’a été prêté par l’un de mes chéri·e·s platoniques, qui m’a dit que c’était très dur, car proche de notre réalité, et que le « feu » promis par le titre ne venait qu’à la fin. Il me le conseillait toutefois chaudement. Un autre ami m’a dit que ça n’était pas si déprimant, parce que ça parlait d’entraide et de communauté. Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre.
On est dans une France légèrement futuriste, sous un régime totalitaire, et on suit divers personnages très isolés. Une communauté de femmes qui tente de survivre en marge, une fugitive qui se fait discrète au sein du régime, une citoyenne mariée à un ami avec lequel elle ne veut pas d’enfant bien que le gouvernement les y oblige, et le mari en question, membre d’un groupe de gays fomentant une révolte.
J’ai bien aimé les personnages, mais Viendra le Temps du Feu a manqué de feu pour moi. Ça n’en fait pas un mauvais livre, mais il m’a déprimée… il est très réaliste, dans le sens où quand on le lit, ce n’est pas très différent de notre quotidien. On s’imagine souvent que vivre dans un état dictatorial serait si différent qu’on ne pourrait que le remarquer, mais non : c’est ça qui est dangereux. Les personnages vont travailler. Ils s’inquiètent de l’actualité. Il y a des manifs, elles sont réprimées, exactement comme aujourd’hui.

C’est un peu la même chose dans Hacker la Peau de Sabrina Calvo et Jul’ Maroh : en la lisant, je n’étais même pas sûre que cette BD soit futuriste. Elle se passe à Lyon, et on y vit une soirée où les associations fascistes attaquent les locaux des associations queer. Je savais que la situation à Lyon était tendue et qu’il y avait des conflits violents… là où Hacker la Peau va un peu plus loin, c’est que la police utilise des drones et qu’il y a un couvre-feu.
On suit des protagonistes dans une relation à trois : Prin, Molly et Axl. C’est une relation très dysfonctionnelle qui m’a fait ressentir beaucoup d’affection pour mes partenaires : on ne se déchire pas comme ça, et même si les émotions et la communication c’est dur, on ne se fait pas de mal comme ces trois-là.
Il y a tout un aspect métaphorique que je n’ai pas compris, comme c’était d’ailleurs le cas pour Toxoplasma, roman de Sabrina Calvo. Les personnages s’engagent dans une quête spirituelle tournant autour de la confluence… J’ai un ami qui a beaucoup aimé cet aspect-là, mais j’avoue que ce style de récit me passe généralement au-dessus de la tête.
Même si en ce moment, j’ai du mal à apprécier les livres durs, ils sont une part importante de notre représentation.
Oui, une relation polyA dysfonctionnelle, ce n’est pas amusant à lire , mais c’est une réalité : en tant que personnes queer, nous avons des défauts, nous nous faisons parfois du mal entre nous. La SF et la Fantasy ne sont pas qu’une échappatoire, et je veux y trouver la même variété de vécus qu’en contemporain !
Ces histoires sombres ont aussi pour but de nous avertir de ce qui pourrait arriver si on va un peu trop loin. Hacker la Peau est paru en 2023… en 2024, pour les JO, des mesures de surveillance dangereuses ont été autorisées. Les drones agressifs de cette fiction sont-ils la prochaine étape ? Viendra le Temps du Feu est sorti en 2021, et un peu plus tard, le Président nous parle de « réarmement démographique » et de tests de fertilité obligatoires… ce serait glaçant même si je n’avais pas lu ce roman.
Au-delà de cet avertissement qui ne m’est pas forcément nécessaire, ces histoires me font voir que même dans des situations horribles, il y a de la solidarité et de l’espoir.
Et au moins, ces œuvres rendent mes craintes concrètes. Ce ne sont plus des idées nébuleuses et angoissantes qui flottent dans ma tête : au moins trois auteurices les partagent, s’inquiètent aussi, et se mobilisent contre. Je ne suis pas seule avec mes peurs.
Viendra le Temps du Feu et Hacker la Peau ne sont pas des livres agréables, mais ces œuvres nous montrent que nos inquiétudes sont légitimes, que nous ne sommes pas seul·es à lutter pour les empêcher de se concrétiser. Et elles nous rappellent que même si ça se produit, on aura toujours au moins un peu de solidarité.
Radar à diversité Viendra le Temps du Feu : pp saphiques, psi gay
Avertissements : Deuil, Dépression, Homophobie, Meurtre, Mort, Outing, Sexe, Suicide, Violences policières
Radar à diversité Hacker la Peau : relation en V, pp nb noir·e, pp femme trans, pp bi, #ownvoice
Avertissements : violence policière, violence générale