Je devais lire le tome 4 de Journal d’un Assasynth de Martha Wells pour le club de lecture aro ace de juillet, sauf que je n’avais même pas lu les tomes d’avant ! J’avais donc un mois pour me faire l’intégrale des livres parus à l’époque… pas de pression !
Quand j’ai commencé Défaillances Système, j’ai songé « ça va être vite expédié, j’accroche pas et je vais pouvoir abandonner la lecture de toute la série ». Je n’arrivais à comprendre ni l’univers, ni le narrateur. L’histoire commence en plein milieu de l’attaque d’une expédition qu’AssaSynth, en tant qu’androïde de protection, est censé protéger. Iel va à sa rescousse alors qu’on sait qu’iel a piraté son système de contrôle et n’est pas obligé d’obéir aux ordres. En effet, iel n’a pas l’intention d’échapper à son esclavage : iel souhaite seulement regarder des séries. J’aime les idées originales, mais j’étais surtout déroutée de ne pas retrouver le schéma classique du héros rebelle.
J’ai fait une pause et lu La Haine qu’on Donne dans l’intervalle – j’avais prévu d’alterner entre les deux lectures mais La Haine qu’on Donne m’a vraiment emportée – puis j’ai repris Journal d’un AssaSynth… et cette fois-ci, j’ai vraiment accroché.
L’équipe scientifique qu’AssaSynth est chargé de protéger est piégée par un groupe qui veut l’éliminer. Certes, je ne comprenais toujours pas ce qui se passait : entre les divers organismes futuristes que je confondais – SecUnit, SecSystem, MedSystem, HubSystem… − et l’absence totale d’explications sur l’action, j’étais perdue. Mais en fait, c’est voulu : AssaSynth n’en a absolument rien à faire des humain·es et n’a pas lu le dossier sur la mission et ses client·es. Ça donne des scènes très comiques où les scientifiques se rendent compte de son ignorance.
Ce qui m’a embarquée, c’est justement AssaSynth, le narrateur. Iel est adorable ! Je me suis tellement identifiée à son malaise social… iel déteste se retrouver dans des groupes d’humain·es, et plus il y a de personnes, plus ses capacités de traitement diminuent ! C’est tout moi, ça. Et iel n’aime pas qu’on puisse voir ses expressions… vraiment, je fondais à chacune de ses réflexions.
AssaSynth explique qu’iel est aromantique et asexuel parce qu’iel n’a pas été pourvu d’organes génitaux, mais – et j’ai beaucoup apprécié cette précision – iel pense qu’iel l’aurait été même si iel en avait. Et puis, avoir une cause à son asexualité ne la rend pas moins légitime ! De même, AssaSynth est agenre car programmé ainsi.
On voit tout au long du récit que même s’iel est un androïde, c’est une personne avec beaucoup d’émotions – de toute façon, je ne me serais pas identifiée si ça n’avait pas été le cas – et si je considère uniquement ce roman, je suis absolument fan de cette représentation.
Cependant, un livre existe toujours dans un contexte, celui de notre société, et il faut savoir que les personnes aro ace sont très souvent qualifiées de « personnes dépourvues d’émotions, incapables d’aimer » et associées à des personnages non-humains… comme des robots, qui n’ont pas de sentiments. Et c’est la même chose pour les personnes qui socialisent différemment, qui expriment leur affection et leurs émotions d’une manière atypique. C’est un cliché dégradant.
J’ai adoré cette représentation, mais elle me met aussi mal à l’aise parce que je me demande comment ça sera lu et interprété par d’autres lecteurices. Un des rares personnages auxquels je m’identifie est un androïde… qu’est-ce que ça implique sur mon humanité ?
A partir du tome 2, on connait l’univers et le narrateur et c’est donc bien plus facile de rentrer dans l’histoire. AssaSynth retourne sur la planète où, avant de désactiver son système de contrôle, iel aurait massacré ses client·es. Iel souhaite comprendre ce qui s’est passé et sa part de responsabilité – était-ce volontaire ? Un bug ? Un piratage ?
Pour cacher son identité, iel se fait engager par un groupe d’humain·es ayant besoin d’un responsable sécurité. Tout comme l’équipe du Dr Mensah, ce sont des personnages auxquels je me suis attachée sans pour autant ressentir de connexion particulière avec eux.
En revanche, EVE, le cargo dans lequel AssaSynth s’introduit pour s’enfuir, est mon personnage préféré – juste après AssaSynth, évidemment. Pour acheter son silence, AssaSynth lui passe toutes les séries qu’iel a téléchargées, mais EVE ne peut pas les regarder seul, car n’arrive pas à savoir quelles émotions ressentir. Voir des humains réagir aux séries n’aide pas, car leurs réactions sont elles aussi peu compréhensibles. EVE a donc besoin de les regarder en même temps qu’AssaSynth pour analyser ses flux de données, et là, il fond devant toutes les péripéties. C’est vraiment super chou. J’ai adoré les descriptions imagées de sa détresse lorsque ses personnages préférés meurent.
C’est à cette occasion, lors d’une discussion sur la représentation des robots dans les séries qu’iels regardent – ou les androïdes sont soit absents, soit les méchants de l’histoire − qu’AssaSynth a ce commentaire si pertinent :
« Il y a deux types de narration irréaliste : celle qui te fait oublier ton existence et celle qui te rappelle pourquoi tout le monde a peur de toi. »
Cette série me parle totalement dans sa présentation atypique de la socialisation et des émotions. EVE est très émotif, et a une personnalité adorable – il est notamment très protecteur et sarcastique – mais ça ne s’exprime pas de manière usuelle. Pareil pour AssaSynth. D’ailleurs, j’ai adoré la scène où une amie lui demande s’iel veut un câlin, iel refuse, et l’amie se fait un câlin à elle-même en lui disant que ça lui est destiné. Je trouve l’idée juste trop mignonne et touchante.
Le tome 3 était décevant dans l’ensemble. C’est toujours le même schéma scénaristique : AssaSynth protège un groupe d’humain·es contre des adversaires qui essaient de les tuer. Comme dans le tome 2, les explications sont souvent floues. Je visualisais très mal les décors, et surtout, les motifs des méchant·es ne sont jamais expliqués. Même si on sait pourquoi le groupe agit, on devine qu’il y a aussi des explications personnelles… qui ne seront jamais données. Si cette faiblesse a été relevée par d’autres, je n’ai pas lu tant de plaintes au sujet des descriptions de l’action.
J’étais contente qu’on en revienne au Dr. Mensah : AssaSynth décide de l’aider dans son procès, et va chercher des preuves sur une planète abandonnée – ou une navette abandonnée ? Dès que les descriptions deviennent techniques et détaillent des ports d’amarrage ou des transports de fret, je lis en diagonale.
Bien sûr, je lis cette série pour ces personnages et non pour son scénario, et finalement, c’est surtout sur ce plan-là que j’ai été moins satisfaite. J’avais adoré EVE, mais Miki, le robot de compagnie qu’on rencontre dans Cheval de Troie, n’a juste pas été aussi attachant – peut-être parce qu’il n’apparait que tard dans le roman …
Pour moi, l’intérêt de Miki était surtout confronter AssaSynth à ses sentiments pour les humain·es. En effet, Miki adore son humaine – et l’appelle son amie et non sa cliente – qui tient elle aussi beaucoup à lui. AssaSynth considère tout d’abord Miki avec beaucoup de mépris, puisque lui-même a été maltraité et en a retiré beaucoup de méfiance et d’aigreur… et lorsqu’iel comprend que Miki est si naïf parce que son humaine l’a toujours traité avec amour, eh ben… iel est jaloux et le cache par encore plus d’agressivité. Ce développement personnel était touchant, et j’avais hâte qu’iel retrouve le Dr. Mensah.
Le quatrième tome s’y consacre puisqu’AssaSynth va partir à la rescousse du Dr. Mensah, enlevée par celleux qui avaient attaqué son équipe dans le tome 1. Ça m’a fait plaisir de revoir les personnages du début, et de voir AssaSynth trouver sa place. Le scénario de Stratégie de Sortie est le meilleur à mes yeux, on a une mission différente des autres et davantage d’action. J’ai passé un super moment !
Cette série contient beaucoup de représentation amenée comme « normale » : le Dr. Mensah est mariée à plusieurs personnes, une de ses collègues est en couple avec une femme, les trois personnages du tome 2 sont en relation poly – ce qui agace AssaSynth car cela fait d’autant plus de personnes avec lesquelles iel doit interagir. De plus, malgré quelques fautes de grammaire regrettables, la traduction française est pour une fois à la hauteur. Le pronom iel est utilisé pour AssaSynth, et le pronom ael pour un·e humain·e du tome 2.
Cette série est en cours : une cinquième novella sera bientôt publiée, et il y a aussi un roman ! Cependant, la fin du tome 4 peut tout à fait tenir lieu de conclusion, et dans l’ensemble les tomes sont plutôt indépendants. J’ai hâte de lire la suite, et j’espère aussi découvrir AssaSynth dans un autre format… une série par exemple ? Ce serait génial !
Avertissements : violence générale (sang, mort, blessures), contrôle mental, prostitution (mentionnée), esclavage, chirurgie