La Salope éthique / L’éthique des Amours Plurielles de Dossie Easton & Janet Hardy

Comme c’est un ouvrage de référence sur le polyamour, ça faisait très longtemps que je souhaitais lire La Salope Ethique de Dossie Easton & Janet Hardy, mais il était toujours emprunté à la bibliothèque ! Finalement, on me l’a prêté alors qu’il avait été choisi par le club de lecture auquel je participe.

personne en salopette lisant allongée sur la plage La Salope Ethique de Dossie Easton & Janet Hardy
Je porte une salopette pour le jeu de mots, merci à mon photographe pour l’idée ^^

J’ai commencé ma lecture durant mes vacances à la plage, et j’étais… mal à l’aise. Je ne savais pas expliquer pourquoi ! Le livre débute pourtant plutôt bien, avec les auteurices qui se situent en tant que personnes queer, engagées dans la communauté bdsm, blanches, ayant des enfants majeurs, etc. Elles listent également leurs valeurs, ce qui me permettait de savoir précisément en quoi ce livre serait biaisé. Je pouvais voir d’office sur quoi nous n’étions pas d’accord, ce qui évite des déceptions. Parfait, non ?

Il m’a fallu plusieurs conversations avec mon partenaire pour comprendre ce qui me dérangeait tant : le style d’écriture. On dirait un article dans un magazine « Avez-vous déjà tenté le sommeil en trois temps ? », sirupeux de condescendance et de généralités enthousiastes. « Et chaque nuit passée ensemble ne se prête pas toujours au sexe, même si on aimerait bien. »

Le fond de ce livre m’a plu, dans l’ensemble. Mais la forme m’a horripilée d’un bout à l’autre.

Initialement, The Ethical Slut a été publié en 1997, puis réédité dix ans plus tard avec des modifications, traduit en 2013 par les Editions Tabou, réimprimé par celles-ci en 2021 avec quelques paragraphes supplémentaires et une biblio à jour, et publié par les Editions de l’Eveil sous le titre L’Ethique des Amours Plurielles en 2021 aussi. La traduction est la même (même si les éditions de l’Eveil ont retiré le nom de deux des traducteurices), mais la mise en page est différente.

La version que j’ai lue est celle des Editions Tabou, 2021. Je pense que c’est en partie à cause de ces diverses corrections que l’ouvrage est aussi inégal…

couverture de l'édition La Salope Ethique avec un tableau de femme nue
couverture de l'édition L’Ethique des Amours Plurielles avec des silhouettes sur fond violet

Il y a 2 éditions avec très peu de différences, mais l’une est plus facile à lire en public !

La Salope Ethique semble s’adresser à des personnes ayant l’intention de « se lancer » dans le polyamour avec un·e partenaire de longue date, ouvrant leur couple sexuellement. Un peu bizarre vu que les autrices mettent beaucoup en valeur le polyamour romantique, et que l’une d’elle est devenue polyA en étant célibataire. Il est aussi impliqué tout du long que lae lecteurice est valide, cis, et a des moyens financiers confortables. C’est assez perturbant de confronter les exemples et témoignages – globalement variés et remplis de particularités – avec les affirmations réductrices qui structurent l’œuvre.

Certes, il y a un paragraphe sur l’asexualité, elle est même évoquée à d’autres reprises, et un autre paragraphe pour les lecteurices avec un handicap physique. Mais c’est une petite préoccupation à côté, et il est clair que ce n’est pas le lectorat-cible. Il y a aussi des formulations bancales de type « les femmes avec un utérus », « homme biologique », etc, et je ne pense pas qu’elles viennent de la traduction. Au contraire, j’ai trouvé les traducteurices très investi·es pour rectifier certains a priori de l’original. Par exemple :

« [Pour ce rendez-vous érotique], rasez-vous de près (ou non, les poils peuvent être très sexy n.d.t.). »

J’ai trouvé agaçant que les autrices ramènent toute émotion à des traumatismes enfantins. Apparemment, c’est leur cas, et je ne vais pas les critiquer pour avoir eu une enfance difficile, mais en faire des généralités me parait périlleux. D’autres membres du club de lecture ont relevé que leur approche semblait inspirée de la psychanalyse, ce qui les a beaucoup rebuté·es.

Ma plus grosse frustration reste le chapitre sur « qu’est-ce qu’une bonne salope éthique ». Certes, c’est bien de préciser que mentir et tromper ses partenaires, ce n’est pas éthique, mais le passage est surtout culpabilisant et accusateur.

« Souffrir en silence et refouler n’ont aucune place dans le polyamour. »

Une partie de ma contrariété vient du fait que certains messages sont désagréables à entendre. J’ai aimé le chapitre sur la jalousie, parce que, dans l’ensemble, j’arrive à gérer ce sentiment. J’ai pu reconnaître des réflexions que j’ai eues et me dire « il est bien, ce livre ».

En revanche, la communication étant mon point faible, j’avais du mal à lire des conseils que je prenais comme des attaques personnelles. C’est pas mal d’écrire cet article – ou d’en discuter avec mon club de lecture – parce qu’articuler ces pensées me permet de réaliser que je ne suis pas très objective. Et que peut-être – peut-être – que La Salope Ethique a raison de prôner la communication. Mouais.

Cependant, la phrase citée reste odieuse, parce qu’il n’y a pas à « interdire » le polyamour à certaines personnes. L’honnêteté émotionnelle est un excellent objectif, mais que certaines personnes, moi y compris, n’atteindront peut-être jamais. Pour autant, j’estime que nous avons droit aux relations polyamoureuses. On ne dit pas à quelqu’un qu’il ne mérite pas d’amitiés ou de romances sous prétexte que ses capacités à communiquer sont en cours de développement !

Je devais donc sans cesse « convertir » le propos, à la fois pour l’adapter à ma situation, et pour le rendre moins catégorique et méprisant. Grâce à cette technique, j’ai trouvé les chapitres concrets vraiment bien.

En effet, au bout d’une centaine de pages, on arrête de spéculer sur la société et sur les individus polyA pour rentrer dans le pratico-pratique de « mais comment on gère des relations polyamoureuses ». Il y a des chapitres pour de nombreux enjeux émotionnels, la jalousie, la colère, les ruptures, l’introspection, la communication, sur comment gérer les enfants, et je les ai tous trouvés très bien ! Ces chapitres étaient parsemés d’exercices que j’ai très envie de faire.

« Si vous avez du mal à reconnaître votre propre valeur quand vous êtes seul, pourquoi ne pas faire quelque chose pour les autres ? Si vous êtes désemparé à l’idée de ne pas avoir de rendez-vous pour le week-end, allez servir le repas aux sans-abris de l’église du coin, vous rentrerez chez vous débordant d’énergie positive. »

→Parfois, il y a beaucoup trop de choses qui ne vont pas dans un passage pour que je fasse un effort de conversion, et je me contente de l’ignorer

En lisant cette partie plus concrète, je me suis souvent dit que ces réflexions n’étaient pas spécifiques au polyamour. Bien traiter ses enfants est aussi un enjeu des couples exclusifs – en tout cas, j’espère – tout comme la gestion des conflits, de la possessivité, de la communication. Finalement, entre lire La Salope Ethique et convertir les phrases pour qu’elles soient moins condescendantes et lire un autre guide relationnel en convertissant les phrases pour que ça soit moins exclusif, eh bien, ça doit être à peu près le même niveau d’effort…

Dans l’ensemble, La Salope Ethique est un guide avec de bonnes réflexions sur les enjeux pratiques du polyamour. Cependant, la manière dont c’est présenté laisse à désirer, et j’espère trouver des ouvrages me demandant moins d’efforts.

Avertissements : validisme, classisme, cissexisme, psychanalyse

 

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