Le même ami qui avait lu Le Cœur de Neverland avant moi avait enchainé avec Le Pacte de Luc d’Isabelle Lesteplume, et s’il m’avait envoyé des messages très enthousiastes au début – comme quoi la romance était mignonne et tout – le dernier tiers ne l’a pas convaincu et il ne me l’a pas conseillé. Sauf que peu après, on a fait une soirée pyjama, et il m’a raconté le prologue – les spoilers ne me gênent pas, et surtout, un spoil du prologue… ça va.
Dans le prologue, Luc décide de faire un pacte avec le démon Asmodée. J’aime les légendes de pactes à la croisée des chemins, où on vend son âme à un démon en échange d’un service… et dans treize ans, le démon viendra collecter. Ce que souhaite Luc, c’est donner son âme à la place de celle de son petit ami, qui a fait un pacte treize ans auparavant pour sauver sa sœur. Le contrat est signé… et dès qu’il en informe son copain, Luc découvre la vérité : celui-ci le manipulait pour qu’il prenne sa place, car sa naïveté et son isolement en faisaient une cible facile – Luc a toutes les caractéristiques clichées de l’autisme.
Après cette révélation horrible, Luc, qui avait un passé de dépression, scarifications et de tentatives de suicide, décide d’en finir.
Bien que le style d’écriture soit plutôt léger et facile à lire, le contenu du prologue est horrible. Mon ami était choqué, ayant du mal à passer au chapitre suivant, où Asmodée conduit l’âme de Luc en enfer pour qu’il y travaille. Une romance à la fois mignonne et amusante se met en place entre les deux.
Mais après avoir appris ça, comment aurais-je pu ne pas lire ? Je trouve les histoires de démons super intéressantes – ça questionne le mal et le bien – , et puis Isabelle Lesteplume avait fait un excellent travail avec l’aspect « pirate » de Le Cœur de Neverland, prenant en compte le fait que les pirates sont séduisants et jouant avec sans vergogne… sans pour autant remplir le livre de scènes de sexe. Les démons, c’est un concept tout aussi aguicheur que les pirates, et j’avais donc l’espoir de trouver le même équilibre.
J’ai donc commencé ma lecture, deviné un des « plot twists » dès le début, et apprécié le fait qu’Asmodée soit sulfureux, séduisant, démoniaque, l’incarnation du tentateur… et asexuel. Si vous n’êtes pas au courant, sachez que les aces se réapproprient les incubes/succubes/démons de la tentation et du sexe : j’en avais eu l’idée toute seule dans mon coin, puis j’ai lu un roman avec une succube ace, puis mon club de lecture aro ace m’a conseillé une BD avec une succube ace, et c’est là que j’ai compris que je n’étais pas la seule personne asexuelle à me passionner pour ce concept. Entretemps, j’ai lu un roman avec un incube qui tombe amoureux d’un mec ace, et des fanfics avec des démons du sexe ace… Vraiment, j’adore que ça soit part de la « culture ace », et ça m’a fait très plaisir que Le Pacte de Luc y contribue.
J’étais si enthousiaste que ça ne m’a pas vraiment dérangée que la représentation soit bancale. Luc oute Asmodée à plusieurs reprises alors qu’Asmodée avait précisé qu’il n’en parlait à personne ; et il est dit que l’augmentation de libido des aces leur donne envie de faire des câlins, alors que… peut-être, pour certain·es, mais ça n’est assurément pas une généralité : j’ai participé à assez de discussions sur les effets de la T sur la libido des aces pour le savoir.
Comme l’avait annoncé mon ami, la romance est très mignonne, si on fait abstraction du fait qu’ils ont une différence d’âge de quatre mille ans et que l’un est l’assistant de l’autre. Et Le Pacte de Luc réussit à nous le faire oublier. Les personnages se complètent bien, ils ont des qualités comme des défauts.
Je regrette que la neurodivergence de Luc soit présentée comme un super pouvoir – un héritage de Rain Man, encore ? – qui fait qu’il peut tout compter instantanément. Mais j’ai apprécié les moments où on voit que Luc n’apprécie pas d’être infantilisé ou considéré comme naïf et innocent alors qu’il ne l’est vraiment pas. C’est juste qu’il ne correspond pas aux normes sociales…
Le thème du suicide reste présent tout au long de l’intrigue – finalement, le prologue sert en quelque sorte d’avertissement ! J’en profite pour préciser que je n’ai pas du tout aimé la réaction d’Asmodée lorsqu’il découvre le suicide de Luc au début. On apprend par la suite que c’est quelque chose qu’il a envisagé pour lui-même, mais ça aurait été bien de le savoir plus tôt et de relativiser ses paroles : hors contexte, son discours me parait être parmi les pires choses à dire à une personne ayant des envies suicidaires.
Le dernier tiers m’a paru un peu long car il y avait vraiment beaucoup de péripéties, et au contraire, la fin était trop courte et je suis restée avec mille points d’interrogation au-dessus de ma tête. Ces questions ne vont avoir aucun sens si vous n’avez pas lu, mais je ne veux pas spoiler : Comment cette solution fonctionne, d’un point de vue administratif ? Les personnes sans-papier étant globalement très mal traitées, comment je pourrais croire que ça se passe bien ? Et avec tous leurs souvenirs, ne vont-ils pas se sentir hyper isolés et incapables de s’intégrer ? Peut-on vivre une vie ‘classique’ – et donc comparable aux autres au moment du Jugement final – dans ces circonstances ? Et pire, un enfant avec des souvenirs de tout ça, qui doit faire semblant h24 auprès de ses « parents » ?
Ayant vraiment bien aimé la relation principale de Le Pacte de Luc, j’ai relu pas mal de passages pour les revoir apprendre des choses l’un sur l’autre, s’attacher l’un à l’autre… c’était très enthousiasmant et j’avais pile poil besoin d’une lecture comme ça.
Radar à diversité : pp neuroA, pp ace racisé, couple m/m, ps femme trans, ps femme saphique, 2 ps non-binaires
Avertissements : suicide, secte
