Pendant plusieurs mois, j’ai été incapable de lire des livres avec de la tension. J’ai dévoré des romances, j’ai découvert la cosy fantasy, mais je commençais à arriver à bout de ma liste de lectures douces. Espérant que j’étais sortie de ma phase « si l’héroïne est en danger je stresse trop pour continuer », j’ai commencé Vanja et le Loup de Margaret Owen, qui correspond pile poil à mes goûts : c’est une réécriture de conte en fantasy young adult, avec des personnages sur le spectre asexuel.
Vu le titre et la couverture, on pourrait croire qu’il s’agit d’une réécriture du Chaperon Rouge… mais pas du tout : c’est une reprise de La Gardeuse d’Oie, conte peu connu dont je n’avais jamais lu de réinterprétation. La Gardeuse d’Oie raconte l’histoire d’une princesse s’apprêtant à épouser un prince, qui est attaquée en chemin par sa servante. Celle-ci prend sa place, épouse le prince, et la princesse se retrouve à garder des oies. Bien sûr, la vérité finit par être rétablie et la servante est exécutée de manière horrible.
Vanja et le Loup nous donne le point de vue de la servante, Vanja, qui confesse ses crimes et explique comment la justice l’a rattrapée. Dès le début, mon ventre s’est donc noué à l’idée qu’elle meure. Ça m’était insupportable alors j’ai lu la fin pour savoir ce qui m’attendait.
Malheureusement, ça n’a pas suffi : il se passe beaucoup de choses dans Vanja et le Loup. La situation est toujours tendue, mais ce qui m’a particulièrement affectée, c’est l’injustice dont Vanja est victime.
On trouve en ligne beaucoup d’avis qui la considèrent comme une anti-héroïne, ou une narratrice à la moralité grise. Personnellement, j’étais à 100% de son côté. Je trouvais que c’était elle qui avait raison, et dans sa situation et si j’en avais eu le courage, j’aurais fait les mêmes choix. Elle a été abandonnée par sa mère, ses mères adoptives veulent en faire leur esclave, et la princesse Gisèle, qu’elle prenait pour son amie, est ravie à l’idée que son futur époux maltraite Vanja à sa place. Et après, tout le monde ose dire que Vanja a pris sa place par cupidité : Vanja se sert de sa nouvelle identité pour voler les nobles afin d’avoir de quoi fuir loin de ses mères et de son fiancé abusif.
Voyez-vous quoi que ce soit d’immoral là-dedans ? En quoi serait-ce injuste que Gisèle devienne une servante ? Elle n’était princesse que par un hasard de naissance ! Qu’elle redevienne princesse et que Vanja redevienne servante, ce n’est pas « rétablir la justice », c’est « restaurer une injustice » !
Cependant, Vanja est constamment accusée de cupidité par l’histoire. Au tout début, son fiancé revient, un enquêteur arrive pour démasquer le voleur de bijoux, et une déesse mineure décide de tuer Vanja pour sa cupidité, à moins qu’elle ne rende ce qu’elle a volé d’ici deux semaines.
On pourrait penser que ça évoluera, que la déesse reconnaitra que Vanja était éprise de liberté et non cupide… les personnages sont nuancés et montrés comme faillibles, donc il est bien possible qu’on soit censés ressentir la même révolte que moi. Mais même dans sa narration à la toute fin, Vanja reconnait sa cupidité comme une erreur, et j’aurais vraiment préféré que l’histoire dise plus clairement que Vanja avait raison.
Cependant, il y a des parties que j’ai trouvées vraiment intéressantes et pertinentes. On nous montre que c’est plus facile d’être généreux quand on est riche et en sécurité, et qu’une personne au désespoir qui priorise sa survie n’est pas égoïste. Vanja et le Loup souligne bien qu’il est important que les femmes riches écoutent celles qui ne le sont pas, au lieu de centrer le féminisme autour d’elles-mêmes.
Il y a aussi non pas un, mais deux personnages principaux sur le spectre asexuel : Vanja et Emeric, et c’est plutôt bien fait. A un moment, Vanja essaie de manipuler Emeric en se comportant de manière outrageusement sexuelle. Sauf qu’elle ne sait pas trop ce qui est aguicheur, et décide de déplacer une saucisse dans son assiette avec une fourchette – elle a entendu que c’était sexy. En face, Emeric perd tous ses moyens, comme s’il était désespérément attiré par elle… mais on découvre plus tard qu’il faisait semblant ! Et encore après, Vanja et Emeric ont une conversation sur leur asexualité… c’est là que je me suis rendu compte du comique de cette scène : si Emeric avait été zedsexuel, il aurait été perplexe devant l’attitude de Vanja. Mais comme il est ace et qu’il ne comprend pas plus qu’elle ce qui est sexy, il a juste vu qu’elle essayait de l’être et a joué la comédie en conséquence…
Par la suite, j’ai trouvé réaliste que Vanja réagisse hyper mal lorsqu’iels s’embrassent pour la première fois – après tout, toustes deux avaient dit que les baisers ne les intéressaient pas. Elle pense qu’il a menti, qu’il la manipule pour coucher avec elle… ce qui est vraiment dommage, c’est qu’il n’y aura jamais de suite à cette scène. Vanja comprend que ce n’est pas dans la personnalité d’Emeric de mentir là-dessus, et iels s’embrasseront de nouveau au cours de l’histoire, sans jamais en parler avant, ou se demander si la position de l’autre a changé. Bien sûr, certaines personnes ont leur attirance qui change en fonction des circonstances, et c’est bien de le montrer, mais c’est bizarre que Vanja et Emeric n’en discutent pas.
J’ai pas mal hésité avant de rédiger cet avis : je ne sais pas ce que je pense de Vanja et le Loup. Le scénario est excellent, mais j’étais beaucoup trop stressée pour ce niveau de suspense. Les thèmes sont vraiment intéressants, mais la fin peu claire m’a frustrée. J’ai aimé la représentation ace… mais il y a quelques incohérences à mes yeux. Est-ce qu’on peut dire que j’ai aimé alors que j’étais frustrée et stressée tout du long ? Mais impossible de dire que je n’ai pas aimé alors que j’ai lu passionnément… A vous de vous faire votre opinion en le lisant, sans doute.
Radar à diversité : pp sur le spectre ace, li sur le spectre ace, ps couple f/f, ps en couple m/m
Avertissements : maltraitance d’enfant (servitude forcée, fouet), mention de tentative de viol, exécution
