Ça faisait un mois que je n’arrivais pas à finir le moindre livre. J’en commençais un, mais dès que je faisais une pause, je perdais toute envie de reprendre. Allez, j’en teste un nouveau ? Pareil, zéro motivation, zéro implication. Jusqu’à ce que je me lance dans le tome 1 de L’Empire d’Écume : La Fille aux Éclats d’Os de Andrea Stewart.
L’histoire s’ouvre du point de vue de Lin, la fille de l’Empereur, qui échoue à répondre aux questions que son père lui pose sur son passé. Elle a perdu la mémoire cinq ans auparavant et l’Empereur refuse de lui enseigner la magie d’os tant qu’elle ne la retrouvera pas. Son frère adoptif risque de la dépasser et de s’emparer du trône…
Lin est tout de suite très attachante : je souhaitais la voir triompher, mais j’avais aussi très peur pour elle car je savais que son père serait sans pitié s’il découvrait qu’elle apprenait la magie d’os en secret. Le résumé décrit cette magie ainsi : « Sur toutes les îles de l’Empire, on prélève sur chaque enfant un éclat d’os derrière l’oreille, lors d’un rituel trop souvent mortel. Depuis son palais, l’empereur utilise ces précieux fragments pour créer et contrôler de redoutables chimères animales, les concepts, qui font régner la loi. » Sauf qu’en fait, au début de La Fille aux Eclats d’Os, on sait seulement que chaque enfant passe par un rituel douloureux : c’est au fil des chapitres qu’on découvre le reste, et à chaque fois, c’était une véritable révélation. J’ai été bluffée quand j’ai compris à quoi servaient les os – eh oui, je suis toujours aussi satisfaite de ne pas lire les résumés.
On découvre en parallèle le récit de Jovis, un contrebandier qui suit la piste de l’étrange navire ayant enlevé son épouse sept ans plus tôt. Il sauve un enfant et un étrange chaton lorsque l’île sur laquelle il enquêtait est avalée par les flots – le titre anglais de cette série est « The Drowning Empire » − et développe peu à peu d’étranges pouvoirs, ainsi qu’une réputation de héros du peuple.
De temps en temps, on a aussi le récit de Sable, une étrange personne sans mémoire qui cueille des mangues, ainsi que de Phalue et Ranami, deux amoureuses qui se retrouvent impliquées avec les rebelles. Eh oui, ça fait beaucoup !
Cette histoire est remplie de mystère, et j’étais rivée aux pages, avide d’en savoir plus. Pourquoi l’Empereur tient-il tant aux souvenirs de Lin, tout en refusant de les lui révéler ? Qui est Sable ? Pourquoi des jeunes femmes sont-elles enlevées par un navire aux voiles bleues ? Qui étaient les Alangas, mystérieux ennemis de l’empire ? D’où viennent les pouvoirs de Jovis ? Pourquoi les îles flottantes coulent-elles ? Quand j’écris tout ça, je me rends compte que c’est énorme, et pourtant, le roman ne m’a jamais paru confus. C’était intrigant, pas incompréhensible. L’univers et l’histoire étaient bien construits, et je sentais que tout s’emboîterait, que les révélations m’éclaireraient tout en complexifiant l’intrigue. Et puis, la situation des personnages est toujours tendue, me tenant en haleine. J’ai dévoré les six cents pages de ce livre en une journée ! J’ai passé un excellent moment de lecture, et ça m’a vraiment fait du bien de me passionner ainsi.
L’univers est original, et pourtant, c’est presque un détail comparé à la qualité du scénario. Les îles flottent et se déplacent, les bateaux fonctionnent différemment des nôtres, les saisons aussi… c’est super intéressant, et lorsque j’ai fini le roman – et que j’ai enfin eu la réponse à quelques questions – j’ai pu davantage m’interroger sur cet univers.
J’ai immédiatement enchaîné avec le tome 2, tout aussi passionnant et dans la même lignée. Cette trilogie est douée pour mettre en place des antagonistes : je les détestais toustes, et pourtant une part de moi les comprenait… quelle frustration !
J’ai eu plus de mal avec le tome 3, que j’ai mis une dizaine de jours à lire. Ce n’était pas dû au fait que je le lise en anglais – je n’avais pas la patience d’attendre la traduction française – mais plutôt à cause d’une constatation déprimante : je n’étais pas du tout d’accord avec les protagonistes. Que je m’abstiendrai donc de nommer les « Gentils ».
L’Empire traverse de nombreuses crises, déchiré par plusieurs factions qui se recoupent : les Alanga veulent éteindre la lignée impériale pour se venger du massacre dont iels ont été victimes, les Sans-Eclats veulent renverser l’Empereur pour établir une démocratie, les concepts libérés tuent tout le monde pour se venger, un gouverneur veut s’enrichir, une autre tente d’accueillir les réfugié·es, un gang veut faire du profit, un Alanga veut prendre le pouvoir, et la personne sur le trône veut rester à la tête de l’empire. Pfiou. Et maintenant, roulement de tambour : qui sont les protagonistes ? Est-ce qu’on aura le point de vue d’un rebelle sans-éclat, qui se désole de voir certain·es de ses camarades se préoccuper davantage de la vengeance que du peuple ? Le point de vue d’une Alanga défavorisée, qui rejoint la rébellion mais doit composer avec les préjugés des Sans-Eclats ? Un concept qui veut juste vivre tranquille, mais ne trouve pas d’autre moyen d’être libre que de rejoindre celle qui tue tout le monde ?
Hélas, pas du tout. Dans les tomes 2 et 3 on a : le point de vue de l’Empereur, de ses allié·es avec des postes gouvernementaux, et celui d’un concept obnubilé par la vengeance.
Mon souci n’est pas que ça manquait d’intérêt : oui, c’était intéressant de voir les dirigeant·es composer avec leur envie d’aider le peuple et leur incapacité à comprendre un quotidien qu’iels ne vivent pas. C’était intéressant de les voir choisir entre une aide ou une autre. De lire la douleur que c’est de tuer des citoyen·nes innocent·es qui veulent une démocratie, juste parce que parmi eux, il y en a quelques-uns qui veulent votre mort… une seconde. Qu’est-ce que je viens d’écrire ? Est-ce que je suis vraiment en train de lire le point de vue d’un Empereur qui massacre ses citoyen·nes démocrates parce que parmi elleux, certain·es veulent se venger du gouvernement ayant tué leurs familles ?
C’est bien écrit. J’avais plein de compassion envers ces pauvres dirigeant·es qui se démenaient pour aider leur peuple, mais dont la vie était menacée par l’insurrection. Si seulement les rebelles les laissaient tranquilles, ils pourraient alors diriger un Empire prospère où tout le monde serait heureux !
J’étais si frustrée de suivre ce côté-là de la situation. Certes, c’est intéressant, et plot twist : les personnages vont finir par se dire qu’une démocratie n’est pas trop mal. Mais franchement, pour un roman publié en 2023, que l’évolution du personnage au bout de trois tomes ça soit « en fait la démocratie c’est mieux qu’un Empire », c’est… un peu pathétique, non ? Surtout qu’il y a des milliers de romans comme ça. On suit toujours des rois, des princesses, des orphelines qui se révèlent être les reines légitimes, des ados issus de l’élite qui se rendent compte que la dictature dont ils profitent n’est pas si géniale. J’en ai marre de lire le point de vue des puissant·es qui gémissent de devoir tuer les rebelles. Parce que dans la vraie vie, moi, je suis du côté qui se fait taper dessus.
L’Empire d’Ecume reste une trilogie incroyable, à la fois haletante et originale, qui m’a sortie de ma panne de lecture. Les révélations sont à couper le souffle et j’ai vraiment été emporté dans cet univers certes sombre, mais où il y a des îles flottantes, ce qui est mon rêve d’enfant. Des îles réalistes accrochées à la terre, c’est nul, je préfère de loin qu’elles se déplacent avec les courants !
Radar à diversité : univers est-asiatique, personnages importants saphiques, couple f/f, autrice sino-américaine
Avertissements : mort d’enfant, morts de proches, noyade, expérimentation sur humains et animaux, meurtres, abus parental, violence, guerre, révolte, mention de génocide (passé)