Témoignages intersexes en Bandes-Dessinées

Le 24 mai 2020, de nombreuses personnes intersexes ont témoigné sur Twitter. Pour celleux qui l’ignorent : une personne intersexe est une personne dont le corps ne correspond pas aux normes médicales du féminin ou du masculin. Trop souvent, l’institution médicale modifie le corps de ces personnes contre leur gré pour les faire entrer de force dans les cases homme ou femme. Si vous cherchez des informations complémentaires, Mischa Tourbillon a créé ce fanzine illustré que je trouve clair et le moins brutal possible – disponible en ligne, mais franchement, soutenez son travail en achetant la version papier.

Forcément, les témoignages de personnes intersexes sont durs à lire. A chaque fois, j’ai mon estomac qui se creuse, je m’horrifie des actions des médecins. Ce sont censées être des personnes en qui on a confiance, et elles exploitent ce pouvoir pour s’en prendre aux personnes sortant des normes.

Mais je ne veux pas fermer les yeux sur ce qui se passe. Oui, c’est douloureux, mais c’est bien plus facile à lire qu’à vivre. Et pour changer les choses, il faut s’informer.

personne derrière un grillage auquel elle est agrippée, tenant une liseuse avec la couverture de Numéro Invalide de Lostmemory
Numéro Invalide de Lostmemory

Le Twitter francophone a conseillé des ressources, dont ce manga autobiographique qui raconte le parcours de Lostmemory, disponible en ligne.

Le témoignage alterne entre scènes dessinées et passages rédigés, souvent pour les explications ou pour les scènes les plus violentes, afin de ne pas les montrer. On suit son parcours médical depuis la découverte de son intersexuation en décembre 2014, et sa lente descente aux enfers. Le format rend la lecture rapide et facile, mais le contenu est révoltant.

Je ne vais pas trop en dire parce que je ne suis pas la plus à même d’en parler, et je préfère que vous découvriez ce témoignage en le lisant directement. Ce manga mérite qu’on s’y attarde.

Par la suite, j’ai cherché activement des œuvres écrites par des personnes intersexes. Je me souviens que j’avais fait une première recherche il y a quelques années et que j’avais uniquement trouvé des biographies, mais cette fois-ci, j’ai pu ajouter un peu de SF à ma pile à lire.

personne en chemise argentée lisant Gender Through the Lens of Brexit de Valentino Vecchietti sur une liseuse, devant un mur de galets
Gender Through the Lens of Brexit de Valentino Vecchietti

Cette recherche m’a aussi permis de découvrir la courte BD Gender Through the Lens of Brexit, écrite par une personne intersexe et disponible en ligne. Je ne suis pas très renseignée sur le Brexit et je ne comprenais pas toutes les références, mais cette BD mêlait analyse politique et parallèle avec la binarité des genres et des corps. C’est aussi un témoignage du parcours de Valentino Vecchietti, et de ses difficultés avec son identité.

J’ai beaucoup aimé les dessins, la mise en page est très fluide : on ne peut pas vraiment distinguer les endroits où s’arrêtent une page ou commence l’autre, tout s’enchaine ! En une vingtaine de pages, l’auteur développe beaucoup d’idées intéressantes. Plus important encore, c’est aussi émouvant, ce qui est rarement le cas des analyses politiques ! Je me suis sentie proche du narrateur, les anecdotes permettent de le découvrir en tant que personne. Une bonne découverte !

personne se baignant dans un étang rempli de plantes avec une liseuse affichant quelques cases de Drop-Out de Gray Folie
Drop-Out de Gray Folie

Vers le même moment, j’ai trouvé une liste de webcomics avec de la représentation intersexe − j’en ai déjà un peu parlé dans cet article avec ma chronique de Random Acts of Katness. J’ai vu que Drop-Out était écrit par une personne concernée, alors même si les dessins ne me plaisaient pas du tout et que je trouvais l’écriture difficile à lire, je me suis accrochée au début. Après quelques pages, je n’ai plus eu besoin de me forcer : j’étais dedans.

Sous le titre, il y a l’avertissement : “strong content warning for themes of suicide and drug use”. C’est bien qu’il y soit, et je tiens à le souligner : le thème principal de ce webcomics est le suicide. C’est l’histoire de Lola et Sugar, qui, sur une idée de Sugar, décident de partir en road trip pour sauter du haut du Grand Canyon et mourir.

Durant leur voyage, les personnages discutent beaucoup : de leur passé, de la société, de leur haine de soi, de leur envie de mourir, de leur parcours médical…

Sugar est diagnostiquée bipolaire, mais d’après les conversations de ses médecins qu’elle a épiées, elle est en fait « schizophrène incurable ». Elle est également intersexe, tout comme Lola, mais les deux ont un vécu très différent.

J’ai vraiment beaucoup aimé – d’une manière douloureuse – leurs discussions autour du genre. C’était brouillon et tellement… juste. Ça reflète ma démarche d’exploration de genre, sauf que c’est sur trois pages au lieu d’un an et demi.

Sugar : …Lola, I spent my whole life fighting to be a woman. And proud. ‘Yeah, women can succeed in STEM.’ ‘Women can have ADHD!’ ‘Women can love women!’ It’s been everything to me. What do you do? What do you do when you want to say “actually, part of me isn’t”? And even if it is just a little part, everyone’s gonna take all the good, and put it on that one part?

Et juste… ces quelques pages sont un tel… soulagement. Parce que d’une part ce n’est pas si simple… et d’une autre, en fait si, ça l’est.

Je ne peux pas parler comme ça de chaque page, car beaucoup concernent des vécus que je n’ai pas. Mais en tout cas, ça vous donne une idée de à quel point cette BD est intense. Juste ces trois pages, je les ai relues quatre fois. Et à chaque fois, c’est douloureux et réconfortant en même temps.

Le mot de fin de l’auteurice disait d’ailleurs que sans être autobiographique, cette BD se basait sur son vécu et avait un but thérapeutique, que ça lui a été utile pour aller mieux de coucher son ressenti sur le papier. Je trouve ça merveilleux qu’une œuvre puisse avoir un impact sur la personne qui la crée comme sur les personnes qui la lisent.

Le flux des émotions qu’on ressent au cours de la lecture est bien géré, on passe de scènes dures où les personnages parlent de leur mal-être à des scènes plus calmes, comme quand iels regardent les étoiles – stargazing – et que Lola déclare qu’iels sont des « stargays ». Le mal-être des personnages ne disparait pas dans ces scènes… que la situation soit douce ou non, la douleur est toujours là, mais elle fluctue.

Drop-out est une bande-dessinée difficile à conseiller, car dure à lire, mais elle vaut vraiment, vraiment le coup. Alors que j’écris cet article, je relis les passages qui m’avaient le plus parlé, et je suis une fois de plus bouleversée, comme si les personnages regardaient au plus profond de moi et me disaient qu’ils me comprennent. Ce n’est pas moi qui lis cette œuvre, c’est elle qui lit en moi !

Je vous mets davantage d’extraits qui m’ont touchée :

(c’est un passage où Sugar parle du fait que par le passé, elle s’est identifiée comme genderqueer)
Sugar : I mean… do I seem like someone who’d go back into the closet just for being self-conscious ? 
Lola : *hem*
Sugar : What ? It’s not a self-esteem thing ! I’m confident ! I was just… confused. It’s confusing ! Even if it was- Even if it was a self-esteem thing ? How do you know ? How do I know ? If it’s- If I say I’m just a woman ‘cuz I’m not good enough to be anything else… or if it’s, I want to be something else ‘cuz I’m scared I make a shitty woman ? If I don’t even know what’s a joke most of the time, how could I know if I’m something that has no definition ?
Elle demande ensuite comment Lola arrive à se sentir si sûr d’ellui, à savoir qui iel est, et Lola rigole :
Lola : I don’t know shit. I just do, like, what feels good. That’s basically all it is, Sugar. It’s just about what you feel. 
Sugar : …I feel like I wanna fucking die. Is there a gender for that ?
Lola : It’s not that kinda “feel” like emotion. …sort of. It’s more, uh reactive… like. Like how do you feel when I say “wow Sugar, you have beautiful eyelashes. They’re so feminine.”
Sugar : *pas de reaction, expression résignée* I mean, It’s true. My eyes are the prettiest thing about me.
Lola : right, so, lukewarm. But it doesn’t feel good. So. So if I say, uh, “Sugar, I love how ma-
Sugar : You don’t have to say it. I’m not a man. I’m not a predator. *soupir* …You know what I mean.
Lola : Yeah. I know. It’s obvious what you’re not, right ? *petit sourire* So when I say… Sugar… You, in a tank. When your chest hair peaks outta your bra. That’s the hottest thing I’ve ever seen. How do you feel ?
Sugar : *petit sourire* Good. …. It feels good.

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