Série Solitude d’un autre Genre de Kabi Nagata

personne en pull bleu lisant Solitude d'un autre genre de Kabi Nagata avec une peluche

J’ai découvert Solitude d’un autre Genre de Kabi Nagata grâce à une vidéo de Lizzy Brynn. J’en avais déjà entendu parler avant, mais sans savoir que c’était une bande-dessinée, sans savoir de quoi ça parlait. Et malgré tout l’humour de Lizzy, elle ne m’a pas tentée. C’est autobiographique, et ça avait l’air douloureux comme témoignage…

Puis je me suis retrouvée dans une impasse par rapport à ma bibliothèque. J’ai le droit d’emprunter 24 livres, et impossible pour moi d’en emprunter moins, au contraire : je veux tout le temps en prendre plus, c’est tellement dur de faire un choix ! Sauf qu’en quatre semaines, je n’ai pas le temps de lire autant, surtout qu’il y a aussi les livres de ma liseuse et ceux que j’ai achetés…

La solution : au lieu d’emprunter des pavés, prendre au moins quelques BDs ou mangas ! J’ai listé les BDs dont j’avais entendu parler qui étaient disponibles, et Solitude d’un autre Genre en faisait partie.

C’était au début du couvre-feu et j’ai commencé à la lire sur place car j’avais l’espoir de croiser la bibliothécaire que j’aime bien : je voulais lui parler et l’encourager, sachant que le confinement avait été très dur pour elle et qu’un deuxième se profilait. Ce n’est pourtant pas tellement un ouvrage à lire en public !

La toute première page nous spoile la fin : Kabi Nagata, 28 ans, est dans une chambre d’hôtel avec une travailleuse du sexe pour sa première fois. La suite nous expliquera comment elle en arrive là…

C’est en effet une bande-dessinée douloureuse dans sa sincérité, car la situation de Kabi Nagata est très dure. Dépression, scarification, troubles du comportement alimentaire, dépendance émotionnelle, confiance en soi anéantie… Après avoir perdu son emploi, elle se retrouve à habiter chez ses parents, avec leurs attentes et leur insatisfaction, et ne sait pas quoi faire de sa vie.

J’ai finalement dû rentrer chez moi sans avoir vu ma bibliothécaire, et je n’ai pas repris la BD tout de suite. Quand je la lisais, j’y étais plongée. Mais c’est une lecture qui prend aux tripes, qui bouleverse, et je n’étais pas prête émotionnellement pour ça, pas alors que ça parle de solitude et que je savais que le confinement m’isolerait.

Je l’ai donc reprise à la fin de la semaine en me demandant si c’était une bonne idée. Kabi Nagata parle du refoulement de son désir sexuel, de son besoin d’affection. Sa manière d’implorer des câlins est déchirante et n’est pas sans me rappeler que si je me poliçais moins, je ferais exactement la même chose. Même si je suis loin de m’identifier dans tout ce qu’elle dit, ça faisait du bien de lire ses désirs couchés sur le papier, de voir reconnue cette part de moi-même. Si elle en parle si librement, c’est que je n’ai pas à avoir honte de ces envies, non ?

extrait de Solitude d'un autre genre : Mais... cela pourrait m'être utile pour enrichir ma production artistique (excuse toute-puissante)
Sa méthode pour se convaincre de tenter des expériences nouvelles est la même que la mienne !

Ce n’était clairement pas le bon moment pour lire cette bande-dessinée : je réfléchissais déjà à la solitude avant. Mais d’un autre côté, Kabi Nagata porte aussi un message d’espoir d’autant plus sincère que c’est une autobiographie. Sa parole est libre, et elle se démène tellement ! J’ai relu Solitude d’un autre Genre dès le lendemain : ça fait du mal, mais ça fait du bien aussi. En plus, elle lance beaucoup de réflexions et je voulais avoir l’occasion de m’y pencher plus en détail.

Cette bande-dessinée « profite » du fait qu’elle est autobiographique pour aborder des sujets qui seraient inacceptables en fiction. Si on inventait un personnage avec la vie de Kabi Nagata, on s’insurgerait de cette terriblement « mauvaise représentation » de l’identité lesbienne, qui lie par exemple son attirance sexuelle pour les femmes à un désir pour sa mère. On pourrait voir la logique scénaristique comme validiste ou acephobe par moments… sauf que ce n’est pas un scénario, c’est sa vie. Et du coup elle peut aborder ces sujets complexes, et j’ai trouvé sa réflexion sur l’attirance sexuelle hyper intéressante. Oui, j’insiste, même si elle dit que le sexe est la forme supérieure de la communication, même si elle dit qu’elle pense que c’est le sexe qui la « réparera » ou la « soignera » et lui permettra de s’accepter… eh bien, je ne trouve pas qu’il y ait de problème à ce qu’elle pense ça pour elle-même. Ce serait gênant de présenter ça comme la morale ou la conclusion d’une histoire fictive, mais là c’est son vécu. Et moi j’aime beaucoup voir des perspectives différentes de la mienne sur le sexe, de voir aussi que ça se rejoint sur certains aspects.

La fiction propose souvent une vision lisse et propre de la différence sexuelle : parce qu’il le faut, parce qu’encore trop d’idées nocives circulent pour qu’on puisse prendre le risque qu’un livre soit mal interprété par les hétéros. Mais ça fait beaucoup de bien de voir que oui, la réalité est plus complexe.

Chaque personne à qui j’ai fait lire Solitude d’un autre Genre a eu un avis différent. Une personne l’a trouvée trop dure et l’a abandonnée, une autre, au contraire, la trouve très encourageante et réconfortante : Kabi Nagata ne cesse jamais de se battre pour aller mieux. Solitude d’un autre Genre est une œuvre très personnelle, et finalement, c’est logique que chacun·e en tire un ressenti différent.

personne lisant Journal de ma Solitude de Kabi Nagata blottie sous une couette
Journal de ma Solitude

Je savais qu’il existait une suite, mais j’ai finalement mis presque un an à me la procurer, et j’ai été étonnée par l’épaisseur de cette deuxième BD. C’est aussi un recueil des chapitres que Kabi Nagata a publiés en ligne, et cette fois-ci, il s’agit d’un journal adressé à la Kabi du futur. Je trouve que c’est une bonne idée, car elle permet de clore chaque chapitre sur une note d’espoir, puisque Kabi conclut à chaque fois sur les enseignements qu’elle a tirés de l’expérience décrite, et en souhaitant que son soi futur se serve de ce vécu pour aller mieux.

C’est un apaisement bienvenu, car comme dans le premier tome, Kabi Nagata met à nu toutes ses émotions, la douleur de la solitude qu’elle traverse. Chaque chapitre pourrait donner lieu à une analyse, mais je vais me contenter de quelques-uns qui m’ont marquée.

Notamment, on peut constater au fil des pages qu’elle change d’avis ou d’émotions. Elle déteste sa famille, puis réalise qu’elle l’aime. Elle constate plus tard que sa famille ne l’a jamais aimée. Puis elle se rend compte de l’amour inconditionnel de ses parents. J’ai aimé suivre les montagnes russes de cette relation, la complexité des sentiments éprouvés. Même dans les autobiographies, c’est rare de voir un personnage faire autant de virages émotionnels. Peut-être parce que les auteurices écrivent longtemps après les évènements, et ne se souviennent plus que de l’état final. Mais ici, la mangaka écrit au fur et à mesure, et on voit bien son évolution.

Kabi Nagata analyse beaucoup son vécu, ce que j’ai tendance à faire aussi, et j’aime les conclusions qu’elle en tire, surtout en ce qui concerne les relations sociales. Notamment, elle arrive à la conclusion qu’être indépendant·e, c’est multiplier les relations de dépendance. Elle qui n’a que sa mère dans sa vie, bien sûr qu’elle n’arrive pas à s’en détacher !

Elle explique aussi qu’il y a deux formes de solitude : le fait d’être seul·e physiquement, qu’elle ressent dans son appartement, et la solitude émotionnelle, qu’elle ressent en compagnie de sa famille. Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, mais c’est très vrai, en tout cas pour moi !

Elle parle de Solitude d’un autre Genre, de la réaction de ses parents en la découvrant, mais aussi du fait qu’elle est terrorisée par l’opinion de ses lecteurices. J’avoue que ça m’a fait hésiter avant d’écrire cette chronique, mais comme elle ne parle pas français, tout va bien ! Beaucoup de ses lecteurices souhaitent lui faire des câlins après l’avoir lue, et j’avoue en faire partie… j’espère qu’elle trouvera des gens pour lui en donner à ma place. Elle semble au moins s’être fait quelques amies et ça me fait très plaisir.

couverture de My Alcoholic Escape from Reality de Kabi Nagata

My Alcoholic Escape from Reality

Alors que je faisais quelques recherches pour cet article, j’ai découvert qu’il y avait une suite au récit de Kabi Nagata : une bande-dessinée qui raconte comment, suite à des douleurs au ventre, elle est hospitalisée et on lui découvre une pancréatite aigüe, résultant de sa forte consommation d’alcool au cours des trois dernières années. Là encore, bien que le thème central soit son alcoolisme et sa maladie, elle aborde divers sujets, comme sa recherche de créativité.

Alors que les tomes précédents tiraient davantage des conclusions sur son attitude ou celle de son entourage proche, cette fois-ci, on a quand même une critique du jugement des lecteurices, puisque Kabi Nagata est totalement bloquée dans son écriture à l’idée qu’on l’insulte sous prétexte qu’elle est alcoolique.

Bien qu’elle ne remette pas directement en question l’institution médicale, sa présentation de la situation nous montre une certaine indifférence de la part des médecins, et l’absurdité de leur fonctionnement. Lorsqu’elle affirme qu’un des antidouleurs ne lui fait aucun effet, personne ne l’écoute. On ne lui explique pas les détails de sa sortie de l’hôpital. Quand elle fait des efforts pour réduire sa consommation d’alcool, sa santé empire, lorsqu’elle boit plus, sa santé s’améliore… et personne ne semble comprendre pourquoi, ni même chercher une explication.

Ce tome-ci est plus court et davantage structuré. Après les chapitres indépendants, j’ai bien aimé suivre une œuvre continue !

C’est étrange de commenter une œuvre qui est en fait la vie de quelqu’un. Après tout, je n’ai pas à juger sa vie… mais j’apprécie vraiment qu’elle la partage avec nous. Solitude d’un autre Genre est une œuvre cathartique, dont les réflexions font écho à des pensées que j’ai eues, et il y a quelque chose de très libérateur à lire des émotions décrites avec autant de sincérité. Pour moi, lire ces BDs, c’est un peu comme pleurer : pas forcément agréable sur le moment, mais ça fait tellement de bien !

Avertissement : alcoolisme, auto-mutilation, hospitalisation, tentative de suicide, troubles alimentaires

 

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