Je ne m’attendais pas à grand-chose en commençant le manga Blue Flag de Kaito. On me l’avait conseillé, mais des lycéen·nes, un pseudo-triangle amoureux, et un personnage gay quelque part là-dedans, ça n’éveillait pas mon intérêt plus que ça.
J’ai vraiment eu une excellente surprise ! Déjà, les traits étaient assez particuliers, mélangeant silhouettes classiques et personnages au physique totalement improbable. Ça me rappelait un peu les dessins de Beelzebub − un manga fantastique, parodique et déjanté, donc totalement aux antipodes de celui-ci.
Le personnage principal, Tai, est d’un abord un peu difficile : très distant, résigné, dénué de motivation dans la vie, passif. C’est un élève de terminale qui, à la rentrée, se retrouve dans la même classe que Tôma, un ami d’enfance devenu un sportif populaire et avec lequel il considère avoir perdu contact, alors même que celui-ci semble très motivé à passer du temps avec lui. Il est également avec Kuze, une fille pour qui il éprouve de l’antipathie en raison de sa maladresse, et qui, suite à un concours de circonstances, lui confie être amoureuse de Tôma. Un peu par absence de capacité à prendre des décisions, il se retrouve à l’aider à séduire Tôma.
L’amitié qui se construit entre Tai et Kuze était vraiment touchante ! J’ai particulièrement apprécié les scènes où iels passent du rire aux larmes. Il y a des pages si drôles ! Et d’autres émouvantes, ce qui permet de voir leur relation dans les moments légers comme difficiles.
On comprend vite que Tôma est en fait amoureux de Tai – le fameux triangle – et j’ai été ravie de découvrir un deuxième personnage bi, Masumi, la meilleure amie de Kuze. On est en fait plutôt sur un rectangle…
Au fil du récit, on découvre peu à peu la complexité des personnages. C’est vraiment prenant, au tome 3, on n’avait toujours pas retiré toutes les couches ! Comme le lycée se termine, iels doivent choisir ce qu’iels feront l’année d’après. L’université, faute de rêve à accomplir ? Tout abandonner, alors que le personnage en question a un rêve depuis tout petit ? Ou encore, une université qui n’a rien à voir avec sa passion… j’étais très intriguée, je voulais comprendre ce qu’avaient vécu les personnages entre leur enfance et le présent pour en arriver à ces décisions.
De plus, on découvre à Tai une motivation… qui va précipiter un drame, et bouleverser les relations de tous les personnages.
Ils s’interrogent, et beaucoup ne comprennent pas ce qu’est l’amour. Et finalement, pour distinguer l’amitié de la romance, devinez quel est leur critère ? L’exclusivité. La romance, c’est quand on ne veut pas que quelqu’un sorte avec une autre personne. Ce serait le moyen de distinguer la romance de l’amitié… c’est très réaliste, comme conclusion, de la part de lycéen·nes, mais ça me rappelle aussi pourquoi en tant qu’aromantique, je m’identifie autant aux personnes polyamoureuses.
Il y a un personnage que je lis d’ailleurs comme aromantique, ou sur le spectre. J’ai adoré le tome où elle exprime sa frustration envers la romance, et la manière dont ça gâche toutes ses amitiés. Soit les garçons tombent amoureux d’elle et se vexent que ça ne soit pas réciproque, soit ils tombent amoureux d’une autre et cessent de la fréquenter pour ne pas rendre leur copine jalouse. Les filles lui en veulent lorsque leur crush s’intéresse à elle… elle en a assez !
Je pense que beaucoup verront ce personnage comme féministe plus qu’aromantique, puisqu’elle est amoureuse de quelqu’un, mais elle ne place pas beaucoup d’importance sur ce crush, et le spectre aromantique existe !
J’étais tellement passionnée que je ne pouvais pas attendre que les tomes soient disponibles à la bibliothèque : j’ai acheté la suite directement. Je ne sais pas comment ont fait celleux qui lisaient au fil de la publication, il y a tellement de tension !
Et pourtant, Blue Flag n’est pas une série riche en action : elle est finalement composée essentiellement de conversations passionnantes, très détaillées, et je vois bien des élèves de terminale explorant leur identité les avoir. Cependant, je n’ai pas du tout aimé la discussion qui occupe la majeure partie du tome 7. L’auteur a volontairement choisi de montrer des opinions condamnables, et j’approuve ce principe : tous les personnages ne peuvent pas avoir le même avis, qui serait celui de l’auteur. Mais ce n’est pas non plus une excuse pour donner une plateforme à des raisonnements homophobes, et j’ai trouvé qu’on passait beaucoup de temps sur des arguments fallacieux – réaliste, mais très désagréable. Un tome à discuter de « est-ce que c’est okay d’être gay », c’est juste pas ce que j’ai envie de lire, en fait.
Un·e ami·e qui a lu Blue Flag juste après moi a relevé que justement, ce manga était très limite côté représentation gay. Les deux personnages officiellement gay/bi souffrent beaucoup d’homophobie intériorisée, ils vont très mal, et on ne les verra jamais épanouis dans un couple avec une personne du même genre. L’histoire sous-entend qu’ils sont heureux, out et en paix avec eux-mêmes, mais visuellement, on n’a rien.
Je n’avais pas relevé ce point : je m’étais surtout concentrée sur les amitiés et cette série, c’est une pépite à ce niveau-là. Elle montre leur valeur et leur variété, c’est adorable, touchant, et j’ai pu beaucoup m’y reconnaitre. Les personnages discutent de leurs relations amicales et de la valeur qu’ils leur donnent, notamment pour leurs choix d’avenir. J’ai adoré relire tous ces passages.
Il y a un épilogue, ou encore une conclusion, qui nous amène deux ans puis cinq ans plus tard.
Je déteste les épilogues en général, et en particulier ceux qui se situent loin dans le futur. Ça coupe toute liberté d’imaginer la suite, c’est frustrant d’être limité comme ça !
Mais quelque part, je comprends la nécessité de cette conclusion, qui apporte une dimension supplémentaire, qui était absente des scènes précédentes : du recul. Et c’est vraiment appréciable !
Je reste mitigée sur les choix effectués pour l’avenir des personnages. D’une part, on n’idéalise pas les romances lycéennes, c’est bien. J’ai aussi beaucoup aimé l’originalité artistique de l’épilogue, qui est dessiné en mode FPS, sans jamais voir le personnage « point de vue »… mais du coup, ça veut dire qu’on ne voit pas le couple m/m ensemble. Certes, on « est » le personnage gay, c’est sympa aussi. Je ne sais pas trop ce que j’en pense, finalement.
Blue Flag est une série prenante qui explore les relations complexes entre un groupe de quatre élèves. Les discussions et réflexions sont passionnantes, même si je ne les ai pas toutes aimées. Et c’est dommage que l’existence de la transidentité ne soit pas du tout prise en compte ! Malgré ses quelques défauts, ce manga qui met en valeur l’importance de l’amitié et ça m’a vraiment fait chaud au cœur.
Avertissements : homophobie, accident de voiture
Une réflexion sur « Blue Flag de Kaito »