J’ai longtemps cru que je devais cacher mon aromantisme. Je ne suis pas exactement un modèle ! Je ne suis pas l’exemple d’une personne aromantique à l’aise dans ses relations sociales : je suis du genre à répéter à l’avance les conversations, et à enchainer les bourdes malgré tout. Je ne peux pas prouver que l’aromantisme n’est pas le résultat d’un traumatisme : la nation entière sait que mon père m’a maltraité. Je ne peux pas clamer que ceux qui affirment que les aros sont cruels et sans cœur ont tort : j’ai volé, j’ai brûlé un village, j’ai maltraité des innocents, j’ai œuvré contre la paix.
Et je sais qu’on pourra me dire « avec ta tête, c’est normal que personne tombe amoureuse de toi, tu n’es aromantique que par dépit ». Je ne peux pas montrer que les personnes aromantiques sont aussi désirables que les autres.
Mais pourquoi faudrait-il prouver tout ça ? Je pourrais répondre que plusieurs personnes sont tombées amoureuses de moi… et après ? Si soudain on me respecte… je ne crois pas que je pourrais supporter que la source de son respect soit l’attirance de quelqu’un d’autre pour moi.
Je suis un très mauvais visage de l’aromantisme. En tant que personnalité publique, je sais que mon image est importante. Si j’en parle autour de moi, ça sera la première fois que mes interlocuteurs entendront parler d’aromantisme. Je serai leur première image de ce que c’est, une personne aro.
Personne n’est parfait, et personne ne devrait avoir à porter la représentation d’autres personnes sur ses épaules. Mais le monde est ainsi. Dois-je me cacher jusqu’à la fin de mes jours, par peur de faire mal à ceux qui sont comme moi ?
C’est ma grande terreur : j’imagine une personne qui s’interroge. Qui se rend compte, peu à peu, qu’elle n’est attirée par personne. Qu’elle a, comme moi, cru que la confortable familiarité avec sa meilleure amie était de la romance. Que l’adrénaline d’une relation dangereuse avec un rebelle était de la romance. Que le malaise lorsque son oncle vous pousse dans les bras d’une jolie fille était de la romance. Si notre cœur bat fort, si on est nerveux, c’est l’amour, non ? Mais elle se questionne, et là, elle entend parler de moi. Et elle est horrifiée, parce qu’elle comprend que tout ce qu’on lui a dit sur les personnes qui n’aiment pas est vrai. Elle se dit qu’elle est une personne mauvaise, que peut-être, c’est parce qu’on la maltraitée, qu’elle aura du mal à se faire des amis, qu’elle n’est pas désirable. Je ne veux pas avoir ce rôle-là. Je veux que mon existence réconforte.
Si j’ai changé d’avis, ce n’est pas parce que j’ai souffert de l’isolement. C’est ce que je me dis, maintenant, pour m’encourager : c’est terrible de se croire seul au monde. J’aurais adoré savoir que d’autres personnes aromantiques existent, qui qu’elles soient – de savoir que l’aromantisme existe. Je me répète que si j’en parle à mon entourage, ça aidera.
La vérité, c’est que j’agis par pur égoïsme. J’ai longtemps été propulsé par la colère, et, même si aujourd’hui j’ai trouvé le calme… J’ai le droit d’être aromantique et d’en parler. Les gens qui trouveraient dans mon passé, dans mon apparence ou dans mon attitude une raison de dénigrer ça… c’est à eux d’avoir honte, pas moi. Ce sont eux qui pensent que c’est tellement inacceptable d’être aromantique qu’il faut trouver une explication.
Je suis aromantique, et je vais en parler. Je souhaite que mon ex sache ce que j’ai réellement ressenti durant notre rupture. Que je soutiens de tout mon cœur son mariage avec sa meilleure amie, mais que je crains qu’elles ne s’éloignent. Je souhaite que mes amis comprennent à quel point… non, comment je tiens à eux. Pourquoi je leur demande, encore et encore, s’ils ne veulent pas habiter ici un mois, trois mois, six mois. Je n’aurai pas une unique personne qui restera à mes côtés pour l’éternité. Ceux que j’ai, c’est eux. Et bien sûr, je leur dis déjà que leur amitié m’est importante – en tout cas j’essaie, car la communication n’est pas mon fort – mais je ne suis pas sûr qu’ils puissent comprendre sans savoir ça. Comprendre que je ne les aime pas « en attendant de trouver mieux », je les aime, c’est tout.
Mon oncle m’a dit un jour que la fierté n’est pas le contraire de la honte, mais sa source. Comme toujours avec ses proverbes, je l’ai retourné dans tous les sens, et je ne l’ai toujours pas compris. Et je ne suis certes pas fier des erreurs que j’ai commises, mais… je suis fier de la personne que je suis devenue. J’ai bataillé avec la honte, avec le besoin de me racheter, et aujourd’hui, je suis en paix. J’accepte le passé, et je fais de mon mieux pour l’avenir.
Et me dire, jour après jour, que je ne peux pas parler de mon aromantisme, parce que j’en serais un mauvais représentant… c’est fini.
J’ai presque hâte d’en parler. Ça sera difficile d’expliquer, mais j’ai hâte que les autres me voient en entier. Hâte de pouvoir spontanément partager mon ressenti complet, lorsqu’on nous annonce qu’une connaissance de plus se marie. Hâte de pouvoir rebondir sur les tirades de l’amie qui affirme qu’elle n’a pas l’intention de se marier. Qui sait, peut-être qu’elle est comme moi ? Peut-être que ça lui fera du bien, qu’on soit deux ?
Ils viennent pour le thé dans cinq minutes. Il est trop infusé, et tout simplement infect, mais j’ai hâte de le boire avec eux.
(*J’étais convaincue que la citation canon « Pride is not the opposite of shame, but it’s source » serait traduite par « l’orgueil n’est pas le contraire de la honte ». Mais j’ai vérifié : audio comme sous-titres VF disent « fierté »… ça m’arrange bien pour ce texte)
L’Aromantic Spectrum Fanworks Week, durant la semaine de visibilité du spectre aromantique, célèbre les personnages du spectre aro dans toutes sortes de travaux originaux ou transformatifs. Pour chaque jour, l’AFW propose des thèmes. Les textes que vous pourrez lire au cours de cette semaine sur mon blog sont des extraits de mes romans en cours, des réflexions inspirées de discussions que j’ai eues, des scènes imaginées dans les fandoms que j’apprécie − même si j’ai édité après pour que ça soit compréhensible peu importe qu’on connaisse le fandom ou non.
Jour 2 : Pride In One’s Identity
Mes autres contributions :
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Jour 1 : Perdu’e (Struggling With One’s Identity)
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Jour 3 : Je ne peux pas répondre à des regards (Facing arophobia)
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Jour 4 : Souhaitez-vous vraiment avoir raison ? (Educating others and/or oneself)
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Jour 5 : Cette insulte que vous m’avez donnée, elle est à moi maintenant (Aro sterotypes)
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Jour 6 : La fiction n’a plus suffi (Meeting other aros)
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Jour 7 : Tendresse aromantique
7 réflexions sur « Droit d’Être »