Invisibilation de la Représentation Aromantique

personne ensevelie sous des livres

Quand j’ai décidé de promouvoir la représentation aromantique, j’étais pleine de motivation. Ça me remplit de joie de découvrir des œuvres où je me reconnais, et ça me fait plaisir d’en parler autour de moi, de permettre à d’autres aros de s’identifier à des personnages, et aux zedromantiques de découvrir de nouveaux points de vue.

Et, au fil de mes lectures, de mes échanges, de mes articles, j’ai compris que l’invisibilisation, ce n’était pas seulement l’absence de représentation. C’était aussi la négation de la représentation existante.

Parce que les livres avec de la représentation aromantique, je les connais. Alors quand je vois passer une chronique d’un de ces livres, je me réjouis, je la lis, et… je suis souvent déçue. Je n’en veux pas aux chroniqueur·ses : en tant que zedromantiques, iel ne se rendent pas forcément compte qu’un personnage est aro. Ça peut aussi être un oubli. Ou un manque d’informations. C’est d’autant plus frustrant que je ne peux reporter ma colère contre personne, à part contre le monde en général.

Bien sûr, je ne parle pas des livres où le mot aromantique est utilisé. Mais c’est rarement le cas, déjà, parce que dans les pays anglophones et au Japon, le terme asexuel·le inclut les personnes aromantiques. J’ai lu plusieurs fois des œuvres écrites par des concerné·es qui disaient « je n’éprouve pas d’attirance romantique, car je suis asexuel·le ». Le personnage est donc aro ace, même s’il est uniquement défini comme asexuel. Et ça, forcément, c’est difficile à comprendre pour les personnes qui ne sont pas concernées. Et je me retrouve à lire, encore et encore, des chroniques qui invisibilisent la représentation, déjà rare, de l’aromantisme.

couvertures des livres cités dans l'article

Souvent, l’aromantisme du personnage n’est pas évoqué. Je me rappelle ma perplexité lorsque, dans une chronique de livres multiples, l’identité de chaque personnage était donnée… sauf pour le personnage aro ace. Etait-ce parce que læ chroniqueureuse considère que l’aromantisme n’est pas une identité, que c’est comme être hétéro ? Je ne pense pas, mais sur le moment, ça m’a fait mal. De façon générale, comme plusieurs sites listent les identités des personnages, c’est assez facile de me rendre compte que l’aromantisme est oublié : pour La Lune est à Nous, pour Enceinte 9, pour L’Ecole des Soignantes

J’ai aussi lu plusieurs chroniques où le personnage aro ace est décrit comme uniquement ace, notamment pour The Lady’s Guide to Petticoats and Piracy. Pourtant, Felicity parle peu d’attirance sexuelle et beaucoup plus de son rapport à la romance et au couple. Même si je sais que c’est parce que l’asexualité est beaucoup plus connue, la voir décrite comme uniquement ace, ou, encore pire, comme « pas aro, mais féministe » m’agace profondément. (Non, en fait. Ça ne m’agace pas. C’est beaucoup plus violent : j’ai l’impression qu’on nie mon ressenti, mon existence.)

C’est vrai, il y a des femmes qui choisissent de ne pas se mettre en couple pour privilégier leur indépendance. Ce n’est pas ce que décrit Felicity : elle veut être indépendante, mais la principale raison pour laquelle elle ne se met pas en couple est qu’elle n’éprouve pas de sentiments amoureux. Et ça m’énerve de devoir en débattre, de devoir le prouver. Féminisme et aromantisme ne sont pas incompatibles, on ne devrait pas avoir à se battre contre celleux qui demandent « d’arrêter de nier le féminisme d’un personnage en le réduisant à son aromantisme ».

Dans Qualia under The Snow − avec une relation entre un homme gay attiré par son voisin asexuel − j’ai vu passer plusieurs descriptions qui disaient « personnage ace et peut-être aro ». Or, au Japon, ace implique aro, donc le personnage est aro aussi, je trouve ça même flagrant dans les explications qu’il donne. Des zedromantiques voyaient ce manga comme une romance, et, quand j’ai essayé d’expliquer, ont redoublé d’insistance. Bon. On peut avoir un ressenti différent, d’accord, mais il y a tellement peu de représentation aro, alors quand il y en a une qui est « officiellement » aro, et pas juste de la projection, c’est horrible qu’on ramène ça à « c’est ton ressenti, c’est dans ta tête, c’est toi qui projette ton identité sur des personnages ».

Le cas de Nous Qui n’Existons Pas est plus subtil : je ne veux pas me battre au sujet de ce livre, parce qu’il est autobiographique, et que l’autrice n’utilise pas d’étiquettes. Ce n’est pas à moi de lui en apposer.

D’un autre côté, « pas d’étiquettes » ne signifie pas « zedromantique ». Toutes les personnes aro que je connais considèrent Nous Qui N’Existons Pas comme un témoignage aromantique. Ce qui est peut-être difficile à comprendre, dans ce livre, c’est que l’autrice se dit à la fois attirée par les femmes, et n’a pas la moindre envie de se mettre en couple romantique. Ça l’agace.

On peut être attirée par d’autres personnes sans que ce soit incompatible avec l’aromantisme.

J’ai l’impression qu’il y a peu d’exemples… mais en fait, c’est parce qu’il y a peu de représentation aromantique en général. J’ai cité ici quasiment tous les livres avec de la représentation aro que j’ai lus…

photo de foule à Milan, avec un trou noir en forme de personne

Le problème vient d’une part qu’on considère les gens comme hétéro « jusqu’à preuve du contraire », et que pour un personnage aro, les preuves ne sont pas évidentes. Il vient aussi, j’ai l’impression, d’autres groupes minorisés, qui ont besoin de représentation. A propos de l’asexualité, j’ai lu plusieurs fois le « une lesbienne ne peut pas être asexuelle, arrêtez d’invisibiliser les lesbiennes ».

C’est un peu pareil avec l’aromantisme. Déjà, peu de personnes savent qu’on peut être aro et gay – notamment pour tout ce qui est relations queerplatoniques.

Mon but en soulignant la représentation aro n’est pas d’invisibiliser d’autres identités. Mais ce n’est pas une raison pour que ce soit toujours la représentation aro qui en pâtisse. Regardez ma liste de romans avec de la représentation aro, vous voyez comme elle est courte ? Et pourtant, je cherche activement !

J’ai vraiment hésité à partager ce ressenti. J’avais cette impression – je l’ai toujours d’ailleurs – que je ne devais surtout pas m’énerver « contre » les zedromantiques, qu’il faut les brosser dans le sens du poil, quémander un peu de respect le plus gentiment possible. Mais en fait, c’est toujours la même chose : pourquoi c’est les concerné·es, pourquoi c’est les personnes qui souffrent du problème qui doivent faire des concessions envers celleux qui n’en sont pas affecté·es ?

Et j’ai été encouragée par cet article – conseillé par Jeanne, merci beaucoup – dont l’auteurice a un ressenti similaire, décrit à la fin.

Je ne peux pas exiger que les zedromantiques perçoivent instinctivement qu’un personnage est aro. Mais lorsqu’on vous le dit, prenez le temps d’écouter. Moi, à chaque fois qu’on me dit qu’un perso n’est pas aro, je remets toute mon identité en question « j’ai cru que ce personnage était aro, mais en fait non, peut-être que je fais la même erreur au sujet de moi-même. » C’est épuisant, et je m’en passerais bien.

 

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