Ecrire alors que je suis une œuvre inachevée

Dans Summer Bird Blue, la narratrice se demande si elle peut écrire sur des sujets qui la tourmentent, si elle peut créer alors qu’elle est en train de changer. C’est une question qui a beaucoup résonné en moi : elle m’accompagne au quotidien.

couverture de summer bird blue d'Akemi dawn Bowman

La plupart des histoires sur lesquelles je travaille actuellement sont « vieilles » : je les ai rédigées pour la première fois il y a six-sept ans, au lycée. Depuis, mon style d’écriture a évolué, et je grince des dents devant certaines formulations, mais surtout : moi, j’ai changé. Ce ne sont plus les mêmes histoires qui me font rêver. Ce ne sont plus les mêmes messages que je veux transmettre.

Et c’est dur de modifier sans changer l’histoire au point qu’elle ne soit plus reconnaissable. Car sinon, autant réécrire un autre roman depuis le début – et c’est ce que je fais, parfois.

Mais du coup, est-ce que ça veut dire que dans 5 ans, je n’aimerai plus ce que je crée maintenant ? Est-ce que je devrais attendre d’être sûre de ne plus changer avant d’écrire ?

Et ma réponse spontanée est « NON ! ». Ecrire, ce n’est jamais pour rien, je travaille mon style, mon inventivité : même si derrière j’abandonne le manuscrit, ce n’était pas du temps perdu. Et il y a toujours moyen de corriger derrière, non ?

En même temps… peut-être que pour un aspect spécifique sur lequel je sais que je change en ce moment même… peut-être vaudrait-il mieux attendre que j’aie du recul dessus. Parce qu’écrire, même si c’est très personnel, c’est aussi quelque chose qui se partage. Je sais que créer ce blog a précipité certains de mes questionnements : soudain, j’ai dû me positionner, prendre parti, clarifier où j’en étais pour que ma voix n’en recouvre pas d’autres, pour qu’on ne m’accorde pas une place que je n’ai pas, et pour ne pas soutenir, par mon silence, des idéaux que je réprouve.

Je n’étais pas tout à fait prête, je ne le suis pas encore. J’ai été obligée de me confronter à mes incertitudes, et s’il en est ressorti quelques bonnes choses, dans l’ensemble, j’aurais aimé avoir plus d’espace, plus de temps.

Ecrire un roman, c’est pareil, mais décuplé. Là, je suis en train de corriger une histoire qui s’inspire beaucoup de ma vie, et que j’ai écrite il y a trois ans. En la relisant avec le recul que j’ai, et tout ce que j’ai appris, je relève des éléments que je ne veux pas regarder en face.

Mais si je veux écrire correctement, si je veux faire justice à mes personnages et à mes lecteurices, j’y suis obligée. Parce que sinon, je risque surtout de créer un portrait bancal d’une identité marginalisée.

Alors je fais quoi ? J’efface l’identité du personnage comme si ni lui ni moi n’avions ce vécu ? Je lui donne cette identité, mais en m’inspirant de témoignages d’autres personnes ? Je me précipite dans un questionnement, cherchant des certitudes sur moi-même pour les appliquer à mon personnage ? Et quand j’envoie à mes relecteurices, comment je réagis si on me dit que c’est une « mauvaise représentation », que je ne comprends rien à ce vécu-là ? Est-ce que je dis que c’est le mien, alors que je refuse encore de l’admettre ? Et ce n’est pas parce que c’est mon vécu que la manière dont je le présente n’est pas critiquable.

La solution la plus logique, la plus paisible, serait d’attendre. Mettre ce roman de côté, trouver mes réponses à mon rythme, et lorsque je me sentirai à l’aise avec le sujet, je pourrai le reprendre sans me débattre dans des sables mouvants.

personne tenant un carnet d'écriture

Il y a un autre projet que j’ai déterré de mes tiroirs. Un personnage profondément aromantique, mais que j’ai écrit à l’époque où j’ignorais que je l’étais. J’ai juste pris toute mon incompréhension et mes sentiments et je les ai injectés dans une histoire, bancale car je n’y comprenais rien et y mêlais des inspirations de romances pour que ça tienne.

Maintenant que je la réécris, je pourrais rendre le personnage « officiellement aromantique », en me servant de mon vécu actuel. Supprimer les confusions, les maladresses, l’actualiser, en quelque sorte.

Ce n’est pas ce que je veux faire. Ce vécu, tout aussi maladroit qu’il soit, il est réel, il est le reflet de ce que j’ai été un jour : une fille totalement perdue qui essayait désespérément de rentrer dans le moule de la romance. Et… je trouve ça intéressant aussi. Je veux garder cet aspect-là, le reflet de mes sentiments de l’époque, parler de questionnement. Mon recul actuel permet d’organiser le scénario, les réactions des autres personnages, mais si je n’avais pas rédigé le premier jet à cette période si confuse de ma vie, je ne me serais pas aussi bien souvenue de ce que j’avais ressenti.

Peut-être que dans quelques années, je pourrai faire de même avec mes écrits actuels. Bien sûr, c’est frustrant de me dire que ce que j’écris, là, alors que je suis en plein changement, ne peut pas être bien tel qu’il est, puisque je n’ai que des questions et aucune réponse. Mais ces questions sont utiles. Intéressantes. Et quand j’aurai les réponses – des réponses temporaires, puisque je changerai sûrement encore après – je pourrai conclure mes écrits.

personne en train d'écrire dans un carnet

Je sais que je ne suis pas la seule écrivaine à m’interroger sur ce point, et quand mes ami·es me parlent de leurs doutes, j’ai envie de les aider. Mais je ne pense pas qu’il y ait de bonne solution à ce dilemme : c’est un choix personnel. Attendre d’avoir changé ? Parler du changement ? Personne ne peut dire ce qui sera mieux pour nous. Car oui, c’est ça qui compte le plus : ce qui est mieux pour nous, pas ce qui est mieux pour notre œuvre. L’art est important, mais pas au point de lui sacrifier notre bien-être. Ça me fait du bien de coucher mes doutes sur le papier, à travers un personnage qui me met à distance, qui me donne déjà un peu de recul. Je ne veux pas y renoncer, tout en sachant que je dois prendre garde à ne pas me précipiter. C’est un équilibre qui s’ajuste différemment pour chaque histoire, et j’ai hâte de voir le résultat final !

Si vous vous posez des questions similaires, j’espère que mon témoignage vous aidera à faire les choix qui vous correspondent.

 

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