Un Pays de Fantômes de Margaret Killjoy

personne en manteau arc-en-ciel et collants lisant Un Pays de Fantômes de Margaret Killjoy devant une rivière

Si j’ai fondé un club de lecture, c’était surtout pour parler de lecture – vous voyez sur ce blog à quel point j’aime ça. Un effet secondaire que j’apprécie fort est qu’on m’y conseille des livres qui sortent de mes habitudes. Parfois, je n’accroche pas trop. Et parfois, j’adore, comme ça a été le cas pour Un Pays de Fantômes de Margaret Killjoy.

Si je me souviens bien, voici comment il a été présenté au club : « l’autrice est une femme trans membre d’un groupe de Black Metal, et dans ce court roman, on suit un journaliste engagé par l’empire pour écrire un article sur la guerre : l’empire essaie de conquérir un nouveau territoire pour s’emparer de ses ressources. Mais très vite, il se rend compte des massacres perpétrés par l’empire et rejoint le camp des envahis, découvrant une autre civilisation : ce pays fonctionne selon des principes anarchistes. »

J’ai attendu le dernier moment pour le lire, confiante dans ma capacité à dévorer 200 pages en deux jours, et je l’ai en effet lu avec une grande facilité : l’écriture est fluide et entraînante, le contenu passionnant. Les actions s’enchaînent, parfois un peu vite : il y a tant d’aspects intéressants que j’aurais aimé voir creusés ! D’un autre côté, ça laisse une grande place à l’imagination, ce que j’apprécie beaucoup.

Ce livre est si bien écrit ! Margaret Killjoy a un sens de la formule assez impressionnant : elle sait exprimer en une phrase claire ce que d’autres diraient en quatre paragraphes laborieux. Une personne est venue au club avec des pages et des pages remplies de toutes les citations qui l’avaient marquée !

De plus, Un Pays de Fantômes réussit à s’adresser à deux publics très différents : les gens qui ignorent tout de l’anarchisme, et ceux qui s’y connaissent bien. Comme c’est clair et bien expliqué – on découvre une société anarchiste à travers les yeux d’un journaliste qui n’y connait rien – une personne qui n’a jamais entendu parler d’anarchisme ou croit que c’est un synonyme de « chaos » ne sera pas perdue. L’histoire étant remplie d’action, elle n’aura pas non plus l’impression de lire une explication : elle passera un bon moment et comprendra tout, apprendra beaucoup.

Mais en tant que personne qui connaît bien les principes anarchistes, qui essaie de les mettre en pratique depuis des années, Un Pays de Fantômes m’a aussi beaucoup apporté. C’est une chose que de connaître des idées théoriques, c’est une autre de les voir mises en pratique. La préface est un éloge de l’utopie, regrettant qu’aujourd’hui, on ne mette en scène des utopies que pour montrer qu’elles sont des dystopies cachées, que les idées présentées sont naïves. J’ai pu le constater avec ce roman : l’utopie, ça fait du bien. J’ai enfin un visuel, un idéal : qu’est-ce que ça serait, de vivre dans une société anarchiste ? Est-ce que ça me fait rêver ? Oui, mille fois oui. Est-ce que ça me donne envie d’agir pour concrétiser ce rêve ? Absolument. Est-ce que ça me fait du bien, d’avoir une direction concrète, un idéal à attendre ? Evidemment.

couverture de Un äys de Fantômes de Margaret Killjoy

Cette société présentée avec soin est complexe et nuancée. Il vaut mieux que vous lisiez le livre pour comprendre, mais j’aimerais relever quelques aspects qui m’ont particulièrement plu.

Un Pays de Fantômes ne ferme pas les yeux sur les crimes possibles. Dans une société sans prisons, comment agit-on en cas de meurtre ? On voit cette problématique abordée de trois manières différentes, puisqu’on a trois cas de meurtres dans l’histoire : un meurtre accidentel que la personne regrette, un meurtre accidentel que la personne ne regrette pas, et un meurtre volontaire.

Les personnages anarchistes sont bienveillants, mais ce n’est pas montré comme de la faiblesse ou de la naïveté : c’est du respect. Respect du libre-arbitre et de la liberté d’autrui à choisir… pour autant, ça vient avec une exigence de responsabilité envers l’autre. Quand l’empire attaque ce pays, la question de « mais si on tue les envahisseurs, est-ce que ça ne fait pas de nous des mauvaises personnes ? » ne se pose même pas. Si on est attaqué, on se défend. Les personnages n’hésitent pas à tuer ceux qui leur font du mal. Je le vois aussi dans mon entourage : il ne faut pas confondre bienveillance et faiblesse. Je fréquente des personnes qui se soucient de mon bien-être, vérifient constamment que je suis à l’aise avec ce qu’elles font, que je me sens bien, et qui, face à quelqu’un qui leur cherche des ennuis, ont la fermeté d’un roc. Et, quelque part, je trouve que l’un ne va pas sans l’autre. Je connais des gens qui sont gentils avec moi, et qui, par gentillesse, ne vont pas non plus protester face à des propos qui me font du mal. Est-ce vraiment de la bienveillance que de me laisser me défendre seule ?

La liberté, c’est aussi celle de refuser l’anarchisme, et de vivre dans une autre société. Le Pays de Fantômes est contrasté avec une société libertaire accueillant celleux qui refusent d’avoir des responsabilités envers les autres, et estiment que la liberté, c’est faire ce qu’on veut. C’était intéressant même si ça ne me tente pas du tout !

Certains villages vivent avec un fonctionnement anarchiste depuis des millénaires : évidemment, les mentalités sont différentes, et on ne pourrait pas mettre en place une société identique d’un claquement de doigts. Certes, si la nourriture est accessible à toustes, il n’y a pas de raisons de voler, mais les réflexes de survie ont la vie dure… je trouvais toutefois réaliste qu’avec l’habitude, ça ne soit pas un problème.

Cependant, une partie de l’équilibre repose sur la confiance et la réputation : si quelqu’un refuse d’aider une autre personne, elle sera mal vue et moins aidée en retour, ne permettant pas une survie sur le long terme. Dans notre société, les actions ne sont pas les seules choses qui jouent sur la réputation : on peut être mal vu pour des choses qui ne dépendent pas de nous – queerphobie, racisme, validisme, grossophobie. Tout ça n’existe pas dans le Pays de Fantômes, et je trouve ça peu réaliste, puisqu’il accueille des réfugiés de pays clairement homophobes.

Je peux passer outre cette incohérence, le but d’une utopie n’étant pas d’être réaliste, mais j’aurais, dans ce cas, aimé voir davantage de personnes sortant des normes. Comment fonctionne une société sans oppressions ? Est-ce que ça fait sens que la plupart des personnages se genrent de manière binaire ? Est-ce que c’est logique que le mariage existe, alors que le polyamour est communément accepté ? Quels droits octroie le mariage, d’ailleurs, dans une société où il n’y a pas vraiment de lois ?

Ce roman était passionnant ! De combats en défis politiques, de liens amicaux en deuils ou trahisons, j’étais constamment emportée, questionnée, émerveillée. J’ai l’impression qu’en plus de m’avoir fait passer un bon moment de lecture, Un Pays de Fantômes a réajusté ma vision du monde, pour rendre mes rêves plus concrets. L’idéal de ce pays est inatteignable, comme beaucoup de rêves, mais c’est aussi ce qui me plait. Une cible lointaine, ambitieuse, un réconfort pour se motiver.

Radar à Diversité : pp gay, société anarchiste, relation polyA secondaire

Avertissements : guerre, torture, morts, exécutions, amputation, homophobie (au sein de l’empire)

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *