Initialement, je n’étais pas une grande fan de bandes-dessinées. J’ai lu les Astérix avec plaisir dans mon enfance, mais après… je n’en ai pas vraiment trouvées qui soient à mon goût. Ce n’est qu’il y a quelques années que j’ai découvert des BD qui me plaisent, et un critère très important à mes yeux, c’est que j’aime les dessins. Je parle souvent dans mes articles des dessins qui montrent les émotions – avec le visage du personnage qui se fissure de douleur, son corps qui s’envole de joie, ce genre de choses – mais j’ai aussi été marquée par d’autres types de graphismes. Dans les BD Malgré Tout de Jordi Lafebre et Un Océan d’Amour de Lupano, le graphisme est important pour la narration, et je les ai trouvées toutes deux très originales.
En Mars 2021, j’ai repris mes soirées The Legend of Korra avec mon voisin, et alors que nous finissions un épisode, nous avons commencé à discuter d’animation, de graphismes, de bandes-dessinées… et il m’a prêté Malgré Tout de Jordi Lafebre, dont il trouvait les dessins magnifiques. J’ai feuilleté le début et, constatant qu’il s’agissait d’une histoire d’amour entre personnes âgées, j’étais très enthousiaste à l’idée de la lire. Les romances tournent tellement plus souvent autour des jeunes, comme si une fois âgé·es, nous serions inintéressant·es. Je connais très peu de romans de fantasy avec de vieux personnages principaux.
Je n’étais pas sûre d’aimer le trait : j’ai l’habitude des visages ronds, des dessins certes détaillés mais plutôt lisses, et ici il y avait beaucoup d’ombres, de relief, de visages marqués… mais dès le premier chapitre – qui s’intitule « chapitre 20 » ! – j’ai fondu pour Ana et Zéno, deux retraité·es qui se retrouvent sous la pluie après trente-sept ans. Iels marchent en parlant du passé et de l’avenir, et Ana dévoile ses intentions d’embrasser Zéno après l’avoir reconduit chez lui. C’était doux et tendre, un peu mélancolique avec les couleurs bleutées de la nuit pluvieuse.
Le chapitre suivant – le 19 ! – est alors une explosion de lumière. Il se déroule juste avant, lorsqu’Ana prépare son rendez-vous et annonce à sa fille qu’elle compte retrouver Zéno, ce que la fille n’apprécie pas puisqu’elle considère qu’Ana trompe son père. Eh oui, cette histoire est racontée à l’envers, par le biais de courtes scènes qui remontent les années. J’étais très intriguée : comment Zéno et Ana s’étaient-iels rencontré·s ? Pourquoi s’être séparé·es ? Qu’est-ce qui les a conduit·es à se retrouver ?
On découvre à rebours leurs vies respectives, les voyages à travers le monde de Zéno, les aménagements gérés par Ana en tant que maire… La représentation polyamoureuse est discrète, car je pense que beaucoup considèreront qu’Ana n’est « réellement » amoureuse que de Zéno, et qu’elle a un mariage de raison avec son époux. Mais ce n’est pas comme ça que j’ai ressenti les choses, son affection pour son mari est très claire !
C’est une histoire tendre que j’ai lue avec un léger sourire aux lèvres, toujours curieuse et toujours émue par les personnages. Il y a vraiment un travail intéressant sur la mise en page et le dessin, pour rendre compte des différentes époques. D’un chapitre à l’autre, les années passent, les couleurs et la luminosité changent, et malgré les traits acérés, tout est si doux ! L’idée de raconter à l’envers crée également une forme de suspense différent dont je n’ai pas l’habitude. Lire Malgré Tout était une très belle expérience.
C’est ma bibliothécaire qui m’a conseillé Un Océan d’Amour, et comme j’ai confiance en ses goûts, je l’ai emprunté. Là aussi, le trait n’est pas exactement un trait que j’aime : les visages sont marqués, leurs caractéristiques exagérées – c’est un dessin que j’associe aux vieilles BD françaises un peu sérieuses et dramatiques. Et puis, moi qui aime les couleurs et les dessins lumineux, j’ai été déçue sur les premières pages : c’est la nuit, un homme se réveille, on ne distingue pas grand-chose.
Ce qui m’a intriguée au bout de quelques pages, c’est qu’il n’y a pas la moindre bulle de dialogue. Comme le pêcheur se levait, j’avais pensé que c’était juste un début lent et silencieux, mais quand sa femme lui sert à manger et qu’il écoute la radio, il est clair qu’iels parlent – juste, nous, lecteurices, n’avons pas leur dialogue. Un peu comme si on regardait un film sans le son.
Moi qui adore les conversations dans les livres, car elles me permettent de comprendre les personnages, j’aurais dû être rebutée par cette décision artistique. Mais au contraire, les personnages sont très expressifs, les scènes très claires, et comme on n’a pas les paroles, on doit s’investir pour comprendre, être dans l’action, au plus proche des personnages, et on ressent leurs émotions avec eux. Il y a des moments touchants, d’autres hilarants !
Le scénario est rempli de péripéties : parti en mer avec un collègue, le pêcheur est pris avec son bateau dans les filets d’un chalutier. C’est l’occasion, bien sûr, de dénoncer l’horreur de la pêche intensive – des images font froid dans le dos. D’autres pratiques maritimes seront dénoncées, puisque le pêcheur manque de mourir à cause d’un navire qui déverse son pétrole dans l’océan, se fait réprimander par une mouette lorsqu’il jette ses déchets à la mer, et découvre ensuite le continent de plastique… Malgré ses thèmes plutôt durs, l’humour est au rendez-vous, notamment grâce à la mouette, et à la présence constante des sardines en boîte qu’on voit sur la couverture, et que le pêcheur déteste – et encore plus avec ses mésaventures avec le chalutier.
De son côté, l’épouse refuse d’écouter les pleurs des Bigouden – oui, ça se passe en Bretagne, j’en suis ravie – et part à la recherche de son mari. J’ai adoré le passage où, à bord d’un navire de croisière, elle s’offusque de la cuisine à bord et fait des crêpes pour tout le monde… Sa détermination et sa peine sont vraiment touchantes.
Un Océan d’Amour a été une excellente surprise, surtout pour moi qui, il y a quelques années, n’aurais jamais imaginé apprécier une œuvre sans le moindre texte. Un dessin peut être si fort et expressif !
Ces deux bandes-dessinées avaient des concepts très originaux, et j’espère trouver d’autres œuvres qui réinventent la narration. C’est toujours réjouissant de voir que non seulement les histoires changent, mais la manière de les raconter aussi…
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