BD militantes : Manifestante, Un homme est mort, Vivaces

Lorsque j’ai lu la bande-dessinée Manifestante, j’ai très spontanément pensé à en parler dans un article regroupant Vivaces et Un Homme est Mort. J’avais déjà joint ces deux bandes-dessinées évoquant des luttes passées dans un article groupé, que je trouvais un peu court et faible pour être publié. Avec Manifestante, qui parle de militantisme au présent, ça serait parfait, non ?

Non : impossible de retrouver ce que j’avais écrit. J’ai fouillé partout : rien, et pourtant, je me souvenais des recherches que j’avais faites sur Wikipédia pour Un Homme est Mort, j’en étais sûre !

C’est donc assez frustrée que j’ai rédigé cette nouvelle version. Ça fait quelques mois que j’ai lu Un Homme est Mort, mes souvenirs sont assez flou et mon ressenti distant, mais j’espère tout de même lui rendre justice.

personne en t-shirt cerises formant un cœur et gilet patchwork lisant Vivaces de Lucile et Pauline Torregrossa devant un potager
Vivaces de Lucile & Pauline Torregrossa

C’est un ami qui m’a offert Vivaces pour Noël : sans lui, je ne serais jamais tombée dessus. Je ne suis malheureusement pas très fan des dessins : j’ai aimé les couleurs, mais les traits me laissent une impression de maladresse. Ça m’a un peu empêchée d’entrer dans l’histoire… Durant six saisons, on y suit le quotidien de deux filles et de leur grand-mère s’occupant du jardin de celle-ci. Alors que la BD est courte, l’histoire s’étale sur plus d’un an, il est donc logique qu’elle soit un peu morcelée, composée de scènes ici ou là. Ça manquait de continuité et de transitions à mon goût ; d’un autre côté, chaque chapitre, sur un thème précis, était réussi. Par exemple, le premier printemps aborde des enjeux climatiques et la lutte de Wangari Maathai, dont je n’avais pas entendu parler. L’automne suivant se penche sur les violences sexuelles, et ainsi de suite. Je n’avais pas non plus connaissance de la lutte pour défendre Plogoff d’un projet de centrale nucléaire, que la grand-mère raconte en évoquant sa jeunesse.

Il y a quelque chose de déprimant à voir que les choses n’ont pas tant changé, que la police continue d’être une force de l’oppression plutôt que de protection, mais c’est aussi réconfortant de voir que d’autres se sont battues avant nous.

En plus, j’ai ce cliché des personnes âgées ancrées dans leurs habitudes, critiquant tout changement, alors ça me fait plaisir de me rappeler que ces personnes ont été jeunes un jour, elles ont voulu améliorer les choses aussi, et pour certaines, elles le souhaitent toujours ! Ça me donne confiance en mon avenir.

couverture de Vivaces de Lucile et Pauline Torregrossa

J’ai beaucoup aimé qu’on suive plusieurs générations, qu’on nous montre les liens d’une famille atypique. Ça m’encourage de voir des modèles différents, et qui fonctionnent ! En plus, beaucoup de mes ami·es adorent le jardinage, j’ai donc pensé à elles en lisant, ce qui renforçait mon affection pour la famille présentée.

La fin m’a cependant laissée un peu perplexe, je ne l’ai pas vraiment comprise…

Vivaces est une bande-dessinée très sympathique, et qui m’a beaucoup fait penser à mon entourage ! Je l’ai recommandée avec succès, elle a été très appréciée par mes ami·es.

personne en rouge et noir lisant Un Homme est Mort de Étienne Davodeau et Kris devant un coucher de soleil rempli de brouillard
Un Homme est Mort de Étienne Davodeau & Kris

C’est lorsque j’ai conseillé Vivaces à un·e ami·e qu’elle m’a parlé d’Un Homme est Mort. C’est une bande-dessinée beaucoup plus classique, dont les dessins et la mise en page crient « BD française sérieuse » ; il se trouve que ce n’est pas du tout un style que j’aime… ça me parait d’office rébarbatif, plombant et pas très joli.

Cependant, c’était adapté au contenu. C’est le récit d’une histoire vraie, celle de la grève brestoise de 1950, où les ouvriers ont protesté contre leurs salaires indignes. Le trait si français ancre le récit.

Le début était un peu abrupt, car j’avais peu de contexte. On suit le récit à travers le regard de René Vautier, un journaliste appelé à Brest pour documenter la manifestation. Je n’ai compris que vers la fin qu’il était recherché par la police, et pourquoi : parce qu’il a filmé les exactions commises par l’armée française en Afrique. Alors qu’il arrive, la police tire sur la foule, et Edouard Mazé est tué.

couverture de Un Homme est Mort de Étienne Davodeau et Kris

Le fait d’être plongé·e dans les sentiments d’une personne précise rend ce récit très impactant, j’ai été émue par la lutte des ouvriers, leur colère et leur peine. A la fin, le dossier m’a permis de mieux comprendre les enjeux de cette grève, et les conséquences invisibilisées des exactions de la police. Il y a notamment le témoignage d’une personne amputée dont le handicap n’a été reconnu que bien des années plus tard – sans parler du fait que le policier n’a jamais été inquiété.

C’est dur, de se confronter à cette réalité. De voir que les problèmes actuels ne sont pas modernes… pas étonnant que la police de nos jours ne soit pas bienveillante, si, quelques années après l’avènement de la 4e République, l’approche de l’état était déjà de réprimer tout ce qui pouvait donner une mauvaise image du gouvernement, plutôt que d’améliorer le gouvernement en question ! Aujourd’hui encore, les lois préfèrent interdire qu’on filme la police, pour ne surtout pas voir ses abus, plutôt que – juste une idée comme ça − les punir pour les empêcher.

Un Homme est Mort est une bande-dessinée importante, qui, sans m’ouvrir les yeux, m’a rappelée à la réalité. Et elle est vraiment émouvante…

personne en salopette avec t-shirt queer lisant Manifestante d’Hélène Aldeguer devant un fleuve
Manifestante d’Hélène Aldeguer

La dernière bande-dessinée de cette sélection, et celle qui m’a poussée à rédiger cet article groupé, est un des rares livres que j’ai achetés sans l’avoir lu. Je préfère la bibliothèque, en général, pour des questions budgétaires. Mais le titre m’a interpelée alors que je traversais la librairie, j’ai vu que c’était la même édition que Un Homme est Mort, alors j’ai lu le début. On y découvre Anna, une jeune femme obligée de traverser une manifestation pour rentrer chez elle. Elle se retrouve bloquée dans une nasse, alors que jusqu’ici, elle n’éprouvait aucune envie de manifester. Confrontée à la violence de la police, aux personnes qui les regardent se faire tabasser avec indifférence, ou détournent les yeux sans pour autant leur ouvrir la porte, elle se découvre une envie de changer les choses. Le fait d’être soutenue par une manifestante qui ne la connait pourtant pas l’encourage à lutter.

Je comprenais facilement Anna, étant moi-même un peu mitigée par rapport aux manifestations. C’est nécessaire, galvanisant, mais aussi effrayant, et… frustrant, car j’ai souvent l’impression de me démener en vain. Avant de me décider à acheter Manifestante ou non, j’ai jeté un coup d’œil à la dernière page, et j’ai failli commencer à pleurer, là, dans le magasin. C’est rare que j’éprouve des émotions fortes, alors je l’ai achetée.

couverture de Manifestante d’Hélène Aldeguer

J’ai repris ma lecture un peu plus tard, en attendant une amie avec laquelle je voulais aller au cinéma. Anna découvre de nombreux enjeux qui lui tiennent à cœur, et au lieu de se résigner comme avant, s’engage dans diverses actions. Plus qu’Anna, c’est vraiment l’action sociale qui est au cœur du récit. On nous montre l’impact émotionnel qu’a la prise de conscience – tout comme Anna, regarder les infos m’est quasi-insoutenable – l’énergie et le réconfort qu’on retire de la solidarité entre manifestant·e, le soutien qui existe dans la communauté, mais aussi les risques de burn-out qu’il y a à s’épuiser à se battre.

Quant à la fin… je n’avais même pas lu, lorsque j’avais regardé la dernière page, la partie dramatique de cette fin, j’avais juste ressenti de plein fouet toute l’énergie qui se dégageait du dessin. Avec le contexte… j’étais encore plus au bord des larmes.

L’histoire se passe de nos jours, mais Anna passe du temps avec sa grand-mère, qui, de son temps, a participé à des manifestations en Italie, c’était vraiment attendrissant de voir cette connexion, et, comme dans les autres bandes-dessinées, se rappeler de la continuité de toutes ces luttes.

Maintenant que j’y réfléchis, je trouve que Manifestante reste une bande-dessinée courte, qui va peu en profondeur, et je me demande si elle parlera à des personnes ne s’étant jamais rendues en manifestation – ce qui, vu le début, me semble pourtant être le public cible.

Son discours sur la violence aurait pu être approfondi – ou alors, c’est peut-être que je suis trop rodée de ce genre de réflexions. Toutefois, j’ai trouvé libérateur que la bande-dessinée justifie voir glorifie la violence des manifestant·es : trop souvent, les médias condamnent cette violence, présentant les policiers dans le rôle des défenseurs. Alors que ce sont les manifestations qui sont une défense, contre des violences que peu montrent comme telles. Les lois sur le logement, qui laissent les gens à la rue alors qu’il y a tant d’habitations inoccupées ; celles qui refusent des soins aux gens qui en ont besoin, n’est-ce pas une bien plus grande violence qu’un tag ou une vitre cassée ?

Manifestante est une bande-dessinée qui m’a vraiment impactée au moment de ma lecture. Je n’arrive pas bien à savoir à qui elle s’adresse, mais c’est une œuvre très juste.

Les bandes-dessinées Vivaces, Un Homme est Mort et Manifestante se complètent bien : elles évoquent des luttes passées et présentes, montrant l’importance de leur continuité. Pour chacune d’elle, c’est à la fois déprimant de voir que des sujets actuels étaient dénoncés il y a longtemps sans grand changement, mais c’est aussi encourageant de voir ce qui a effectivement changé. Elles rappellent en quoi c’est important de se battre pour nos idéaux.

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