Vénère (Être une Femme en Colère dans un Monde d’Hommes) de Taous Merakchi

personne en manteau rouge lisant Vénère de Taous Merakchi sous la pluie, abritée par le toit d'un puits

J’ai commencé à lire Vénère de Taous Merakchi dès que j’en ai entendu parler.

J’ai un rapport pénible à la colère : j’en ressens peu, et j’ai envie que ça change. Quand mon entourage me raconte des situations injustes, ou quand j’en vis, le sentiment qui prime, ce n’est pas la colère : c’est la peur, la résignation, la tristesse. Des émotions désagréables qui ne mènent à rien. Alors que ressentir de la frustration… ça n’est pas agréable non plus, mais je prends souvent de bonnes résolutions dans ces moments-là, je mâche et remâche la situation, bouillant intérieurement, et il en ressort de bonnes idées pour la prochaine fois. J’ai notamment acquis la tactique du « non unique » : quand je ne suis pas d’accord, je l’exprime une fois. Si l’interlocuteur nie direct mon opinion, mon ressenti, c’est pas la peine de rentrer en conflit car il n’écoute pas, et je clos la conversation.

Cependant, les moments où je ressens cette rancœur qui me fait réagir sont rares. Si je sais que sous ma peur et ma tristesse, il y a de la colère qui se cache, c’est grâce à ma lecture d’Iron Widow par exemple, ou au visionnage de clips comme Animal Farm et BIBI Vengeance. Ces histoires mettent en scène des femmes emplies de rage, qui, au lieu de la museler, explosent de violence. Quand je lis ou regarde ces œuvres, je me sens libérée d’un immense poids qui me ronge. Ma colère s’en va, canalisée par les actions d’une autre. Si je connecte autant avec ces œuvres, c’est bien que ma colère est là, cachée par mes autres sentiments !

Avec Vénère, j’espérais trouver la même chose, peut-être, ou alors un moyen de sentir ma colère à la place de la peur… je ne savais pas précisément ce que je cherchais, juste que je voulais que mon rapport à cette émotion change : lire le témoignage d’une autre femme sur son rapport à la colère ne pouvais qu’aider, non ?

Vénère m’a bel et bien connectée à ma colère. Chaque chapitre est une scène, le récit d’un moment, avec les réflexions et le ressenti de Taous Merakchi. Mes pensées, tout du long, c’était « oui oui oui ». J’étais d’accord avec absolument tout.

Je n’ai pas du tout eu la même vie qu’elle – je pense qu’une des plus grosses différences est qu’elle a grandi à Paris alors que j’ai vécu dans une ville de 6000 habitant·es. Je ne me suis pas fait harceler dehors à huit ans tout simplement parce que… je n’étais jamais dehors : Je ne croisais personne durant mes trajets de toujours moins de dix minutes, et j’étais toujours retranchée à l’intérieur pour lire. Le harcèlement sexuel, c’était « juste » celui de mes camarades de classe, pas d’inconnus quinquagénaires. A mon entrée au lycée, j’ai commencé à prendre le bus et à faire des trajets de plus de vingt minutes : tout de suite, ça a changé.

Cependant, malgré de nombreuses différences entre Taous Merakchi et moi, j’étais absolument en phase avec ce qu’elle écrivait. A un moment, je ruminais le contenu d’un chapitre, me disant que c’était bien gentil que des femmes soient le public cible de ce genre de livres, mais ceux qui doivent ouvrir les yeux, ce sont les hommes : moi je sais tout ça ! Assez frustrée que le poids du féminisme repose toujours sur les femmes – non seulement on est discriminées, mais en plus, c’est à nous de faire tous les efforts pour changer la situation – j’ai imaginé la réaction de mon entourage masculin à la lecture de ce livre. Redoublement de ma frustration, j’entendais déjà les « prouve-le », les « bon mais elle exagère » et, juste après, leurs épouses et copines qui s’empresseraient d’apaiser le conflit d’un « oui, tu vois, on est juste un tout petit peu frustrées parfois, désolée, mais pas tant que ça, t’inquiète, désolée, mais oui ça va, désolée qu’une autre femme te critique ».

Et dès que j’ai repris ma lecture, paf, Taous Merakchi aborde ces sujets. Les mecs qui demandent des preuves – comme quoi, je suis pas la seule à en avoir marre de devoir citer mes sources quand je dis que j’ai peur des mecs la nuit. Et plus tard : le fait que les femmes n’ont pas le droit de se plaindre sans sanction sociale, et doivent tout atténuer face aux mecs.

couverture de Vénère de Taous Merakchi

A chaque fois que je lisais un chapitre de Vénère, je revoyais toutes les scènes qu’elle décrivait, que j’ai vécues aussi, ou que mes amies ont vécues, des scènes dont je connais des centaines de versions et déclinaisons. Ma frustration grimpait, je re-imaginais comment j’aurais pu réagir, ce que je ferais à l’avenir…

Mais justement, ce n’était pas de la colère : je ne pouvais pas m’insurger, exploser, attraper les mecs de mon entourage et les secouer jusqu’à ce qu’ils changent d’attitude, cracher à la figure des inconnus pour qu’ils comprennent ce qu’ils me font ressentir. Non, je ne pouvais rien faire, à part mariner dans ce sentiment négatif, revoir en boucle ce qui n’allait pas : ce n’était pas de la colère, c’était de la frustration.

Je n’ai pas vraiment trouvé ce que je cherchais en lisant Vénère, mais j’y ai trouvé autre chose : de la connexion, de la solidarité. Quelqu’un qui exprime tout haut ce que je pense tout bas. Ce n’est pas un essai, ce n’est pas constructif, ça n’a pas vocation à l’être. Il n’y a pas vraiment de propositions de changement : après tout, ce qui doit changer est évident, non ? C’est un témoignage, un cri d’émotions accumulées. Une dénonciation nécessaire.

Les nuances, c’est cool, et j’avais adoré que Virginie Despentes explique aussi en quoi les hommes sont victimes du sexisme, et appelle à une union. Même les mecs qui l’ont violée : elle a pitié d’eux. Mais parfois, j’ai juste envie que quelqu’un pointe du doigt ce qui ne va pas et dise « faites mieux ». Sur ce, je retourne lire Iron Widow et regarder Animal Farm, j’ai besoin de purger toute cette rage accumulée.

Avertissements : dépression, cancer ; dénonciation du sexisme, harcèlement sexuel, féminicides ; mention de tentative de suicide et d’homicide manqué

 

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