Il a refusé de sortir avec moi, et je suis soulagé’e.
Juste après, j’avais un exercice de canoë avec une amie, et je me suis confié’e à elle : elle a exprimé sa compassion. Elle est triste pour moi. Mes colocataires de bungalow aussi. Pareil pour l’ami avec lequel j’ai partagé toutes les étapes de cette grande aventure amoureuse.
Il y a une telle différence entre mes sentiments et les leurs…
Oui, je suis soulagé’e. J’ai beau avoir passé cinq mois à essayer d’attirer son attention, à passer le plus de soirées possible ensemble, à rêvasser à l’avenir… je ne nous ai pas vraiment imaginés en couple. Je le voyais me dire qu’il m’aimait, je le voyais m’embrasser. Et je savais vers quoi ça se dirigeait : le bonheur, les étoiles, les papillons, les enfants, une maison. Mais tout ça était un concept très lointain. Maintenant que je me retrouve sans rien, je me rends compte qu’il n’y avait, finalement, jamais eu grand-chose. Dans les films que je vois, ça se termine souvent quand ils se mettent ensemble. Alors comment pourrais-je souhaiter ce qu’il y a après ? Se débrouiller pour se voir, se rassurer en cas de jalousie, dormir ensemble, coucher ensemble… ça a l’air fatigant. J’ai déjà été en couple : c’était fatigant.
Bien sûr, je suis inquiet’e. Si j’ai essayé de sortir avec lui, c’est parce qu’il quitte la colonie des sang-mêlés l’année prochaine. Je ne pourrai plus le défier en duel, escalader la falaise de lave à ses côtés, ou rêver qu’une quête nous soit confiée. Si on était ensemble, il serait obligé de garder le contact.
Je lui ai donc confié que j’avais des sentiments pour lui, et il m’a dit que ce n’était pas réciproque. Bon. Est-ce que ça veut dire qu’il restera de la gêne entre nous ? Que je serai mal à l’aise en sa présence ? Est-ce que je vais perdre cette amitié parce que j’ai essayé de le garder à mes côtés ?
Je suis soulagé’e, je suis inquiet’e. Et une autre part de moi est assise sur son fauteuil, savourant du pop-corn.
Après tout, c’est une histoire passionnante. Je suis amoureuxe de lui. Mon confident est amoureux d’un garçon lui-même amoureux de lui aussi, et nous menons un savant chassé-croisé d’invitations à des sorties, essayant de nous retrouver à deux, mais finissant parfois à trois, parfois à quatre. Parfois à trois sans lui. Hilarant, non ? C’est digne d’une série. J’ai l’impression d’être à la fois personnage et spectateurice.
(Plus tard, je comprendrai qu’il y a eu des cœurs brisés, dans cette histoire. Que les autres n’étaient pas personnages et spectateurices : c’était leur vie, et leurs sentiments. Impossible à imaginer, pour moi, car je croyais mon vécu universel. Et mon impression, c’était que tout ça n’était pas bien réel…)
Je suis soulagé’e, je suis inquiet’e, je suis diverti’e. Je suis aussi surexcité’e. Enfin, j’ai quitté les gradins des spectateurs !
Durant toute mon adolescence, j’ai été « la confidente ». Nous le savons bien, nous qui étudions de près les légendes grecques : toute héroïne se doit d’avoir une nourrice, une servante, une meilleure amie à qui elle confie ses peines et ses désirs. Cette confidente n’a jamais de vie hors du soutien qu’elle prodigue : sans romance, qui a-t-il à raconter sur elle ?
C’était moi, jusqu’ici. Certes, je rêve plus souvent de gloire que de romance : qu’on me confie une quête, que la pythie prononce mon destin épique, et que je revienne victorieuxe à la colonie. Là, je pourrais m’asseoir près de notre feu de camp et captiver mon entourage. Mais je sais que c’est un rêve inaccessible : presque personne ne part en quête, et, quand c’est le cas, certainement pas les enfants d’Hermès. Et la romance fait partie de cette histoire-là aussi.
Mais enfin, enfin, j’ai eu quelque chose à raconter à mes ami·e·s. J’ai pu prendre la parole et voir les regards se tourner vers moi. On m’a écouté’e. On m’a conseillé’e. On s’est enthousiasmé pour moi. Je vivais enfin quelque chose qui était intéressant pour les autres.
(L’année suivante me rappellera à l’ordre. Je redeviendrai lentement transparens aux yeux de mon groupe. En quittant la colonie, j’aurai rassemblé mille petites anecdotes de type « exemple d’un moment où mes meilleur·e·s ami·e·s n’ont pas remarqué mon existence »).
J’ai déclaré mes sentiments, et le garçon en question m’a rejeté’e. Je suis soulagé’e. Je suis inquièt’e. Je suis diverti’e. Je suis surexcité’e. Aucun de ces sentiments ne correspond à ce qu’on m’a dit que j’étais censée ressentir. Films, chansons, mangas…
Je regarde les enfants d’Aphrodite du coin de l’œil. Sauraient-iels expliquer ce qui cloche ? Me dire pourquoi je ressens tellement de choses qui n’ont rien à voir avec ce que les héro·ïne·s ressentent dans cette situation ? Mes ami·e·s sont tristes pour moi, déçu·e·s aussi. Dois-je leur révéler que ce n’est pas mon cas ?
Me croira-t-on seulement ? J’imagine que tout le monde pensera que je fais bonne figure, que je mens pour rassurer. Mais ça va. Je suis juste… perdu’e.
Soulagé’e. Inquet’e. Diverti’e. Surexcité’e. Mais surtout perdu’e.
En grand manque de représentation aromantique, j’ai finalement décidé de suivre le conseil universel : si on veut que quelque chose soit fait, il faut le faire soi-même.
J’ai en particulier envie de montrer l’aromantisme au quotidien, et l’Aromantic Spectrum Fanworks Week, durant la semaine de visibilité du spectre aromantique, est l’occasion parfaite pour ça. Cet évènement célèbre les personnages du spectre aro dans toutes sortes de travaux originaux ou transformatifs. Pour chaque jour, l’AFW propose des thèmes. Les textes que vous pourrez lire au cours de cette semaine sur mon blog sont des extraits de mes romans en cours, des réflexions inspirées de discussions que j’ai eues, des scènes imaginées dans les fandoms que j’apprécie − même si j’ai édité après pour que ça soit compréhensible peu importe qu’on connaisse le fandom ou non.
Jour 1 : Struggling With One’s Identity
Mes autres contributions :
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Jour 2 : Droit d’être (Pride In One’s Identity)
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Jour 3 : Je ne peux pas répondre à des regards (Facing arophobia)
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Jour 3 : Je ne peux pas répondre à des regards (Facing arophobia)
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Jour 4 : Souhaitez-vous vraiment avoir raison ? (Educating others and/or oneself)
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Jour 5 : Cette insulte que vous m’avez donnée, elle est à moi maintenant (Aro sterotypes)
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Jour 6 : La fiction n’a plus suffi (Meeting other aros)
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Jour 7 : Tendresse aromantique
7 réflexions sur « Perdu’e »