J’ai rédigé le texte Mon aromantisme n’est pas une absence en août 2020, et je n’ai pas réussi à le publier. C’est facile d’écrire sur l’aromantisme. Quasiment tous les jours, je suis confrontée à la remarque d’un collègue ou d’une boulangère, au message d’un·e ami·e, à une situation qui me rappelle que je suis aro, parfois en positif, parfois moins. J’ouvre un document et je rédige mes pensées sur le sujet.
Mais retravailler le texte, me dire que je vais donner à autrui cette vision de mon intimité, m’interroger sur son but, et finalement le publier… c’est beaucoup plus dur. Fin février, l’Arospec Fanworks Week a fourni des thèmes et une deadline : c’était l’encouragement dont j’avais besoin pour publier, et ça me fait très plaisir d’avoir réussi.
Je relis ce texte, et je constate que j’en avais bien besoin.
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L’aromantisme, c’est l’absence d’attirance romantique.
Ça, c’est la définition. Mais il ne faut pas oublier qu’une définition est là pour simplifier un concept, afin de le rendre compréhensible.
Et du coup, ça m’embête de la voir si souvent prise au pied de la lettre, transposé en « l’aromantisme, c’est l’absence de romance. »
Alors quand un live mentionne en une ligne qu’un personnage n’est « attiré par personne » sans que ça ne change rien par ailleurs… ça ne me parle pas. Quand on me dit après un coming-out : « d’accord, t’es aro, mais pourquoi t’as besoin d’en parler ? C’est juste que t’es pas amoureuse, quoi » ou encore « mais ça change rien, t’es juste célibataire » c’est si à côté de la plaque que je ne vois pas quoi dire. L’injonction à la romance hétéro est si omniprésente qu’elle en devient invisible. Trop immense pour entrer dans le champ de vision.
Ça m’attriste de voir qu’un livre avec un personnage aro, c’est un livre sans romance. On coupe toutes les scènes romantiques, et voilà. On me renvoie qu’aux yeux des « normaux », j’ai quelque chose en moins.
Mais l’aromantisme, pour moi, ce n’est pas l’absence d’histoire romantique.
C’est la présence d’une histoire aromantique.
Je suis aromantique, et je le suis tout le temps. Ça occupe mes pensées.
J’y pense quand je chante des louanges d’un·e ami·e et que je sais que tout le monde croit que j’en suis amoureuse.
J’y pense quand on me parle d’avenir, et que je ne sais pas me projeter – serais-je seule et célibataire, abandonnée par mes ami·es en couple ? Est-ce que je fonderai une communauté ? Vivrai-je en colocation avec plein de personnes aro ?
J’y pense quand je croise une belle personne, et que je ne sais pas ce que je ressens. Attirance esthétique ? Attirance sensuelle ? Attirance amicale ? Attirance queer-platonique ? Attirance de genre ?
J’y pense quand j’essaie de comprendre ce qu’est la romance, que j’ai des débats qui durent des heures avec des ami·es aro, et que notre conclusion c’est : ???
J’y pense quand je réfléchis à comment changer la société pour qu’elle ne me voie plus comme anormale.
J’y pense quand quelqu’un flirte avec moi et que je ne sais pas quoi faire de ça.
J’y pense quand je m’inquiète que mes ami·es m’abandonnent en se mettant en couple.
J’y pense quand je ne comprends pas le personnage d’un livre.
J’y pense quand un film me dit qu’on ne peut pas être heureuxe sans romance.
J’y pense quand je me demande si je peux être une femme, alors que la romance semble être l’objectif de vie d’une femme.
J’y pense quand j’écris et que je cherche à créer un personnage qui me ressemble.
J’y pense quand j’ai peur d’envoyer des signaux erronés à un·e ami·e.
J’y pense quand on s’étonne que mes ami·es aient des profils si variés d’âge et de métier. Comment les ai-je rencontré·es alors que nous n’avons rien en commun ? Mais nous avons l’aromantisme en commun, et c’est beaucoup.
Je n’y pense pas à chaque instant, mais c’est toujours là. C’est moi. Je suis aro, et ce n’est pas une absence.
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J’espère que les sept textes publiés au cours de cette semaine de visibilité du spectre aromantique auront donné un aperçu de ce que c’était, être aro. J’espère que les autres personnes du spectre auront pu se reconnaitre, ou, au contraire, voir que malgré ce point commun, nous sommes bien différent·es. J’espère que ça vous a donné l’impression d’exister un peu plus.
Mes contributions :
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Jour 1 : Perdu’e (Struggling With One’s Identity)
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Jour 2 : Droit d’être (Pride In One’s Identity)
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Jour 3 : Je ne peux pas répondre à des regards (Facing arophobia)
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Jour 4 : Souhaitez-vous vraiment avoir raison ? (Educating others and/or oneself)
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Jour 5 : Cette insulte que vous m’avez donnée, elle est à moi maintenant (Aro sterotypes)
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Jour 6 : La fiction n’a plus suffi (Meeting other aros)
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Jour 7 : Tendresse aromantique