C’est toujours un peu difficile de conseiller des essais, surtout ceux qui m’ont passionnée. Dès que je les résume, j’ai l’impression de trop simplifier. Ce qui m’a intéressée, c’est la complexité des idées présentées, et le portrait que j’en fais me parait bien incomplet. Dois-je écrire un article interminable afin de pouvoir transmettre une partie de la richesse des ouvrages, ou un court paragraphe présentant uniquement le thème et vous encourageant à découvrir le texte par vous-mêmes ? Pour L’Invention de la Culture Hétérosexuelle, j’avais choisi la première option, et cette fois-ci, je m’en tiens à la deuxième, vous présentant rapidement trois essais que j’ai beaucoup aimés : Manifeste d’une Femme Trans de Julia Serano, Racisme, mode d’Emploi de Rokhaya Diallo et Hunger de Roxane Gay.
J’éprouve un peu de culpabilité en ce qui concerne ce livre, car je l’ai emprunté à une association, et comme elle a fermé suite à la pandémie, je ne l’ai toujours pas rendu – et ça fait un an maintenant.
C’est un recueil de plusieurs textes issus de Whipping Girl, et rassemblant les réflexions de Julia Serano. J’avais déjà lu dans un fanzine Le Privilège Cissexuel, que j’avais trouvé très intéressant : à la fois car il analyse la norme, ce qui m’enthousiasme toujours – il y a tellement de livres qui décortiquent la différence, tandis que la norme existe en tant qu’évidence – mais aussi parce qu’elle mettait le doigt sur beaucoup d’attitudes et procédés systématiques mais inconscients visant à marginaliser les personnes trans au travers du privilège cissexuel.
Les autres textes étaient du même acabit, portant sur divers aspects tout aussi passionnants. Ce recueil est facile à lire, avec une postface très pertinente, invitant à consulter des personnes aux vécus plus intersectionnels !
J’avais emprunté Racisme : Mode d’Emploi à l’occasion du TEP BookClub de juin 2020 sans avoir le temps de le lire, et c’est fin juillet que je m’y suis plongée. C’était un moment où je lisais beaucoup d’œuvres courtes, et j’en avais assez de sans cesse changer d’histoire, m’adapter à de nouveaux univers sans avoir le temps de les savourer. Un essai, c’était une pause parfaite.
Les premiers chapitres ont été laborieux. Je me suis habituée aux essais « grand public » comme ceux de Roxane Gay, Mona Chollet, ou Non c’est Non, faciles à lire et entrainants. Le début de Racisme : Mode d’Emploi correspond au cliché des thèses universitaires, avec un vocabulaire complexe et des phrases alambiquées.
Je me suis accrochée.
Une fois que je m’y suis habituée, la lecture a finalement été plutôt facile. Surtout que pour la plupart, je connaissais déjà les concepts présentés par Rokhaya Diallo : ce sont surtout les arguments et exemples qui étaient nouveaux pour moi.
Le livre est organisé en chapitres axés sur des thèmes précis autour du racisme. Je ne sais pas s’il s’agit d’un regroupement, ou s’il était prévu lors de leur écriture qu’ils soient agencés ainsi : il y a une progression dans les arguments au fil des chapitres, et en même temps, il y a des répétitions. Peut-être que c’est en cas de longues pauses dans la lecture.
Ce que j’ai trouvé particulièrement utile dans cet essai, c’est qu’il parle de la France. Je vois souvent des gens condamner une action raciste aux Etats-Unis, et acclamer la même chez nous. Bad Feminist de Roxane Gay était très intéressant, mais dans Racisme : Mode d’Emploi, je peux comprendre les exemples, et me servir de cet essai pour agir en France. Je sais que je relirai certains chapitres pour bien les intégrer.
J’avais beaucoup aimé la plume de Roxane Gay dans Bad Feminist : elle est fluide, claire, facile à lire et entrainante. J’ai donc eu envie de découvrir un autre de ses livres de non-fiction, Hunger.
Roxane Gay avait déjà parlé de son poids dans l’un des textes de Bad Feminist : après avoir été violée par un groupe de garçons à 12 ans, elle s’est réfugiée dans la nourriture pour se constituer un corps qui la rendrait invisible, un corps qui n’était pas désirable.
Dans Hunger, Roxane Gay en témoigne plus en détail, et elle explique aussi ce que c’est d’être une femme noire et grosse : la façon dont elle est perçue, dont elle est traitée, la façon dont elle-même se voit.
J’ai dévoré le début : les chapitres sont courts, portés par une idée claire, la plume est entrainante. Mais j’ai fini par arrêter parce que je me sentais vraiment mal. Ce qu’elle a vécu et ce qu’elle vit toujours, c’est dur.
J’ai fini par le reprendre, et le milieu m’a moins intéressée. Roxane Gay parle de la société en général, de sa haine des gros·se et de ses conséquences. La continuité chronologique est peu marquée, on enchaine des chapitres intéressants et sur un thème commun, sans qu’ils soient pour autant liés.
J’ai raccroché vers la fin, lorsque ça redevient un peu plus une histoire. L’autrice nous parle de ses relations, puis de sa vie d’écrivaine – je ne pouvais que m’y intéresser – toujours avec le prisme de son corps.
J’ai une certaine aversion pour les essais, la fiction m’attire toujours plus ! Et pourtant, j’ai lu passionnément ces trois ouvrages, à la fois parce que leurs idées sont intéressantes, mais aussi car la plume nous porte à travers les pages. Tous dénoncent les mécanismes oppressifs de notre société, et invitent à les remettre en question.
Avertissements Hunger : viol, grossophobie, sexisme, racisme
Une réflexion sur « Trois Essais sur des oppressions systémiques : Racisme mode d’emploi, Hunger et Manifeste d’une Femme trans »