Durant le premier confinement, j’ai profité de mon retour chez mes parents pour relire de nombreux livres que j’avais laissés là-bas : Artémis Fowl, Warbreaker, William Santrac, Love, Simon… C’était l’occasion de voir si mon ressenti avait changé ! Pour cet article, voici mon avis sur les différentes romances que j’ai relues : Autoboyographie, Recrue et Sens Dessus Dessous.
C’est assez amusant de voir que même quand mon partenaire de lecture et moi aimons le même livre, c’est pour des raisons très différentes, comme vous pouvez le constater dans son article !
A l’occasion d’un week-end où je devais voyager léger − donc sans livres papier, le drame − j’ai commencé ma lecture d’Autoboyographie, entre deux arrêts de métro. Durant un cours d’écriture, Tanner tombe amoureux de Sebastian, fils d’un évêque mormon, qui va bientôt publier son roman fantasy. Au fil de leurs rencontres, il rédige l’histoire de leur romance.
Malgré le coup de foudre au départ, j’ai adoré ce roman. Je ne sais pas comment dire ça sans être vexante : beaucoup de romances m/m m’avaient semblé être des romances hétéro, mais en changeant le prénom du personnage féminin. Ici, la relation du narrateur bi avec la communauté LGBTI+ est discutée, et j’ai retrouvé, en quelque sorte, l’ambiance des conversations que je peux avoir avec mes ami·es LGBTI+.
Deux aspects m’ont particulièrement touchée. En premier, la religion : Sébastian est mormon, et j’ai trouvé le traitement de sa foi super intéressant. Tanner, qui n’avait jusqu’alors que vu les points négatifs de l’Eglise mormone, en découvre d’autres aspects à travers la foi de Sébastian. J’ai trouvé le conflit entre la foi et la religion bien décrit − à comprendre dans le sens foi = rapport personnel à Dieu, et religion = organisation entre personnes partageant une même foi. Des chrétien·nes m’en avaient déjà parlé, et j’ai retrouvé leurs mots dans les explications de Sébastian : il sent que Dieu approuve sa sexualité, cependant, la religion mormone la condamne. Sa sexualité ne remet pas en question sa foi, mais sa religion.
Le deuxième aspect m’a remuée encore plus : la famille. J’adore ma famille, nous sommes proches… tout comme les familles de Tanner et Sébastian. En surface, le discours des deux familles est le même : nous t’aimons quoi qu’il arrive.
Lorsque Tanner a fait son coming out bi, sa famille a réagi en l’entourant de soutien, en portant des pyjamas arc-en-ciel et des tabliers aux slogans militants pour qu’il sache qu’il est en sécurité auprès d’eux. C’est tellement exagéré que c’en est adorable, et je fondais à chaque fois. Alors que quand Sébastian évoque la possibilité d’être gay, ses parents cessent de lui parler. C’est d’autant plus déchirant qu’on les a vus exprimer leur amour inconditionnel pour lui en amont. Et qu’on sait que Sébastian les adore.
Je sais que c’est un reflet de la réalité – Christina a enseigné dans l’Utah et rencontré de jeunes mormons gays − et c’est peut-être ça le pire.
A la fin, le point de vue change : Tanner a terminé son projet d’écriture, et le récit passe de la première à la troisième personne pour relater les évènements dont Tanner ne parle pas dans son livre. Son professeur lui demande alors de modifier la fin… et l’épilogue est cette fin modifiée, heureuse, du roman qu’il va publier. Il n’y a aucune garantie que ce soit ainsi que la véritable histoire de Tanner et Sebastian se soit finie…
Un an plus tard, je l’ai relu et j’ai de nouveau passé un super moment. Le coup de foudre m’a moins dérangée maintenant qu’un ami m’a révélé que ça peut arriver dans la vraie vie ! C’est un roman magnifique, et si le séminaire d’écriture ne m’a pas du tout parlé – comment Tanner peut-il montrer le premier jet de son roman à Sebastian ?! Alors qu’il y parle de ses sentiments pour lui !! – la religion et les relations familiales m’ont de nouveau émue. Et je continue d’y réfléchir…
Recrue de Samuel Champagne fait partie des premiers romans m/m que j’ai lus, et c’est le premier que j’ai vraiment aimé. C’était super mignon ! J’avais relu et relu les scènes de tendresse et d’affection.
Et là, deux ans plus tard, j’ai décidé de relire le livre entier. Je me souvenais très bien de l’histoire et des personnages, le début a donc été sans surprise : Maxence déménage de l’Angleterre au Québec, et rencontre Thomas, isolé au lycée car les élèves pensent qu’il est gay et l’excluent. Maxence, qui était out en Angleterre, retourne quant à lui dans le placard pour s’intégrer à l’équipe de foot. Thomas lui plait et les deux garçons se lient d’amitié, même si Thomas redoute de donner raison aux rumeurs, et Maxence peine à équilibrer sa place au lycée et son amitié avec Thomas.
J’ai malheureusement été très déçue de constater que Recrue ne me plaisait plus autant. Je pense que c’est en grande partie lié à son ton pédagogique : les discussions et introspections de Thomas et Maxence servent à expliquer ce que c’est d’être gay, à démonter les stéréotypes, à dénoncer l’homophobie. Il y a beaucoup de variété dans ces scènes, certes – pas seulement des insultes, mais aussi des moments plus subtils où, bien que la mère de Maxence ait affirmé qu’elle le soutenait, Thomas lit la résignation dans son regard lorsqu’elle le rencontre. Le problème, c’est que c’est parfois répétitif et que j’avais l’impression qu’on me faisait un exposé dont je n’avais pas besoin.
Tout ça m’empêchait de m’attacher autant aux personnages qu’à ma première lecture. Et puis, la rhétorique du « ce n’est pas un choix » est utilisée à de nombreuses reprises, et je ne l’aime pas du tout. « Tu n’as pas à avoir honte. Tu n’as pas choisi, tu n’as rien fait de mal. » Donc… est-ce que ça veut dire que si c’était un choix, ce serait mal d’être gay ? Et donc qu’être gay ce n’est pas bien, mais qu’on nous pardonne parce qu’on n’a pas eu le choix ? Génial.
C’est un argument utile en tant que première étape, pour se protéger, pour pousser les hétéros non pas à nous accepter, mais à se résigner, à comprendre qu’ils ne peuvent pas nous changer. Mais ce n’est qu’un début, et j’aurais aimé que ça aille plus loin. Que ce soit un argument utilisé pour les hétéros, et pas entre personnages gays.
Les discussions entre Thomas et Maxence, et les scènes plus romantiques par la suite, sont cependant toujours aussi douces. Je les trouve vraiment bien écrites ! D’ailleurs, j’aime beaucoup le fait que ce soit un livre québécois, avec toutes les expressions : ça change, et ça nous emporte dans le livre. Cette relecture était décevante, mais Recrue reste un roman sympathique.
(Upside Down en anglais: ayant lu la VO, je ne sais pas ce que vaut la traduction)
Ça faisait un bon bout de temps que je conseillais la romance Sens Dessus Dessous de N.R. Walker à un ami, et j’ai finalement décidé de la relire en mettant des commentaires sur des post-it, avant de la lui envoyer − j’adore partager mes lectures comme ça !.
La première fois que je l’ai lue avec le club de lecture aro ace, j’avais trouvé la relation très mignonne, alors même que je ne comprenais pas les sentiments des personnages et que je les sur-analysais. Son côté à la fois sincère, décomplexé et du coup, complètement improbable et cliché, contribue à une atmosphère adorable un peu survoltée. Un chouia plus et je partirais d’un grand rire sarcastique, mais là, tout cet irréalisme choupi me faisait fondre. J’ai également beaucoup apprécié la présence d’un peu de polyamour, même si c’était en fond.
A la relecture, je ne sais pas si c’est le fait de m’interrompre pour écrire sur mes post-it, mais j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire. Le point de vue alterne entre Jordan et Hennessy : Jordan est un bibliothécaire introverti qui a tendance à partir dans des monologues décousus lorsqu’il est nerveux – c’est-à-dire tout le temps – et Hennessy est un informaticien relax et gentil – désolée, à mes yeux, il n’a pas beaucoup de personnalité…
Jordan remarque Hennessy dans le bus et crush sur lui, sans oser faire quoi que ce soit. Lorsque sa meilleure amie Merry le pousse à aller à un groupe de soutien pour asexuel·les, il se rend compte que c’est Hennessy qui le dirige, et malgré son embarras initial, tous deux vont rapidement apprendre à se connaître.
J’aime beaucoup le fait qu’ils se rencontrent à un groupe de soutien, parce que c’est le reflet du vécu ace et que c’est une manière astucieuse de discuter plus en détail de l’asexualité. Le livre va bien au-delà de l’explication de base « c’est le fait de n’être attiré·e sexuellement par personne ». Les membres discutent de médias, de pression sociale, des difficultés de couple, du spectre… et ça ne parait pas artificiel, puisque c’est le but d’un groupe. Ça en fait un bon « guide de l’asexualité », sans qu’on ait pour autant l’impression que le livre s’adresse uniquement aux personnes zedsexuelles.
D’un autre côté, c’est dommage que tout soit dans les paroles et pas tant dans les actions. L’aromantisme est évoqué, mais pas un·e seul·e membre n’est aro. Le fait qu’on puisse être ace et apprécier une relation sexuelle est discuté, mais pareil, ce n’est le cas d’aucun personnage. Le spectre ace est abordé mais il n’y a pas de personnage grey ou demi… C’est bien de dire que l’asexualité est variée, mais ça sonne creux si chaque membre du groupe a les mêmes avis et vécu !
Autre point peu réaliste : l’absence totale de personnes non-binaires dans ce groupe. J’en parle davantage dans mon article sur les romances ace, mais les hommes cis sont généralement en minorité dans les groupes asexuels, alors qu’en littérature ils sont surreprésentés, et sans que ce point ne soit évoqué dans le livre.
Jordan et Hennessy apprennent à se connaître au fil de leurs discussions quotidiennes dans le bus, hilarantes, surtout que les passager·es s’en mêlent et essaient de les aider. Leurs rendez-vous amoureux sont drôles, mignons, et clichés. Parfois même un peu trop, car Jordan et Hennessy se ressemblent beaucoup ! Au bout du dixième point commun découvert, je levais un peu les yeux au ciel.
Comme d’habitude, les relations que je préfère sont finalement l’amitié entre Merry, Jordan et son coloc’ Angus, ainsi que la relation poly qu’Angus entretient avec un couple marié. Iels sont vraiment très très mignons.
La fin était beaucoup trop romantique – et puis je déteste les épilogues ! – mais dans l’ensemble, c’est un roman vraiment sympa, et qui discute l’asexualité en profondeur. Sens Dessus Dessous est LE livre à faire lire avant un coming-out, pour éviter des explications à rallonge ! Dommage cependant que les personnes ace présentées soient peu variées.
J’aime beaucoup relire des livres, même si j’ai toujours la crainte d’aimer moins que la dernière fois. Une crainte qui s’est avérée cette fois-ci… Mais les autres lectures ont été très plaisantes. J’espère bientôt vous parler de ma relecture de l’intégrale des Percy Jackson !
Avertissements Autoboyographie : homophobie, abus émotionnel, dépression, rejet parental
Avertissements Recrue : homophobie, chantage
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