Dans ma démarche pour devenir experte en représentation ace, j’ai découvert que Wikipédia avait une liste de représentation asexuelle en littérature ! Je me suis préparée à la déception et je l’ai parcourue en me demandant selon quels critères ces quelques livres avaient été sélectionnés – il y en a 26, alors que la base de données la plus fournie que je connais en contient 400. Dans cette liste se trouvait Ultraviolet de R.J. Anderson, que j’ai donc décidé de lire « pour la science ».
« Once upon a time there was a girl who was special.
This is not her story.
Unless you count the part where I killed her. »
Ultraviolet commence alors que la narratrice, Alison, est enfermée dans un hôpital psychiatrique. Elle est la dernière à avoir vu sa camarade de classe Tori, et est rentrée chez elle dans un état de crise, attaquant les policiers venus l’arrêter. Sa mère, qui lui a toujours interdit de parler du fait qu’elle voyait les sons et les couleurs des lettres, refuse de l’aider.
Je me suis vite méfiée : le scénario où le personnage parait fou, mais en fait, a raison et la magie existe, je le connais et je ne l’apprécie pas. Pour moi, ça rentre dans la même catégorie que les aliens asexuels : c’est déformer une réalité existante pour la montrer comme autre, fantasmée, irréelle.
Je redoutais donc le moment où on découvrirait la magie… et il n’arrivait pas. A la place, Alison s’habitue à la vie à l’hôpital psychiatrique tout en cherchant comment le quitter. Le validisme est montré, et le « quand on cherche, on trouve » est dénoncé : les médecins partent du principe qu’Alison est schizophrène et dangereuse, et tout ce qu’elle fait renforce leur impression. Si elle est en colère mais se contraint à garder son calme pour ne pas paraître dangereuse, son absence de réaction est interprétée comme un manque d’empathie. De plus, Alison remet sa propre psychophobie en question, ce que je n’avais jamais lu dans ce genre de livre. Je trouve cependant dommage que le traitement d’Alison soit finalement présenté comme une erreur de jugement − et donc comme justifié si elle avait été schizophrène ? − sans que les mécanismes ayant mené à cette erreur ne soient vraiment soulignés. On ne revient pas non plus sur le fait qu’à chaque fois qu’Alison s’est montrée violente, c’est parce qu’on a essayé de contenir sa crise…
Au milieu du livre, il y a une agression sexuelle que j’ai trouvé traitée de manière intéressante, notamment parce que l’agresseur ne s’excuse jamais et reporte la faute sur Alison. Le validisme s’y mêle : elle est habituée à ce que ses sentiments et sensations ne soient pas légitimes, soient des hallucinations, et se demande si elle a le droit de lui en vouloir, ou si comme d’habitude, elle se trompe sur la réalité.
« This was my cue to feel ashamed of myself for being angry with him and tell him everything was okay. Because that was what I’d done when he ate all my chocolates. It was what I’d always done with Mel whenever she’d hurt me. And it was what I ended up doing with my mother every time the two of us had a fight. After all, my feelings weren’t normal, couldn’t be trusted, didn’t really matter compared to other people’s. Even now I could hear a traitorous little voice in my head nagging, It’s not like he did anything that bad to you, you know. You’re just being oversensitive. »
La romance s’en mêle ensuite, et elle était si… bizarre que je n’ai même pas eu l’occasion d’être mal à l’aise. Alors qu’il y a de quoi : Alison tombe amoureuse de son psy, Sebastian, qui est aussi la seule personne à être son amie. C’était tellement incompatible avec de la romance que je n’arrivais pas à croire ce que je lisais. Surtout qu’Alison est mineure !
On découvre au fur et à mesure qu’Alison est synesthète : ses sens sont associés, couleurs, sons et formes se mêlent dans ses perceptions. C’est une variation des sens tout à fait existante, qui touche 4% de la population. Alison est également tétrachromate – ce qui est possible aussi, j’avais fait plein de recherches à ce sujet pour un roman. J’aurais préféré que ça s’arrête là, qu’on ait une aventure paranormale avec une héroïne synesthète et tétrachromate sans que son identité soit traitée comme un pouvoir magique. J’ai trouvé un avis mélioratif d’une synesthète, qui soulignait que même si le roman présente ces variations comme des capacités supérieures lui permettant de détecter des éléments paranormaux, il insistait qu’il s’agissait d’états réels et non magiques.
J’avais raison de supposer que le roman serait surnaturel, mais il fonctionne aussi très bien en tant qu’histoire contemporaine centrée sur le séjour d’Alison dans l’hôpital psychiatrique, avec ses luttes quotidienne et le mystère de la disparition de Tori. La tension grimpe au fur et à mesure que les preuves s’accumulent contre Alison.
La fin d’Ultraviolet nous apporte une excellente révélation sur l’identité des personnages, j’ai vu les indices juste avant qu’on ne me donne la réponse ! On savait certes déjà qu’il y aurait des évènements paranormaux, mais pas ce qu’ils impliqueraient. Les explications ensuite étaient prenantes et m’ont donné envie d’en savoir plus − ce qui tombait bien : le tome 2, Quicksilver suit justement un personnage impliqué par cette révélation − mais la résolution finale, trop abstraite, m’a déçue.
On arrive à la fin de la chronique, et vous vous étonnez peut-être que je n’aie toujours pas parlé d’asexualité. Ha ha ! Moi aussi : le sujet n’est pas du tout abordé. Après une rapide recherche, j’ai découvert que ce serait le cas seulement dans Quicksilver, et que le personnage en question est − tenez-vous bien ! − une alien !
J’avais hésité à commencer une autre série, mais finalement, j’ai décidé d’être logique et d’enchainer avec Quicksilver. La narratrice est différente, puisqu’il s’agit de Nicki, une Alien envoyée sur Terre à sa naissance par un scientifique souhaitant observer son comportement. Comme il veut la récupérer pour l’étudier, elle se cache avec ses parents adoptifs.
Elle est amie avec Milo, qui l’aidera lorsqu’elle constate qu’elle est également poursuivie par des scientifiques humain·es qui veulent comprendre son ADN. Ça permet une exploration intéressante du sexisme et du racisme dans le milieu scientifique : Nicki est un génie de l’électronique, Milo est passionné de sport, mais lorsqu’iels vont à deux demander à utiliser un atelier scientifique − pour détruire le relai qui permet de traquer Nicki − c’est toujours vers Milo qu’on se tourne, même si c’est Nicki qui demande et explique.
Nicki est très attachante, justement parce qu’elle-même a dû mal à appréhender les humain·es. Elle affirme souvent qu’elle n’arrive pas à éprouver de la compassion envers elleux, mais ça semble plutôt être de l’« alienphobie » intériorisée : on voit à quel point elle aime ses parents et se préoccupe souvent davantage de leur ressenti que du sien. En tout cas, elle a dû apprendre comment analyser les expressions du visage et réagir de façon à être appréciée. Ça ressemble beaucoup à ce que me racontent certain·es ami·es neuroA, et c’est dommage que ça soit relié au fait qu’elle est une alien.
Son asexualité est mieux gérée puisqu’il est dit qu’il y a des humain·es asexuel·les, et que c’est inhabituel chez les aliens. Ça sert même à dénoncer les clichés acephobes !
On m’avait prévenue qu’elle paraîtrait également aromantique pendant toute l’histoire, avant l’apparition soudaine d’une romance, mais je ne m’attendais pas à quel point ! Elle répète à plusieurs reprises qu’elle n’est pas amoureuse, elle tient un discours très pertinent sur l’importance de l’amitié.
« There’s no such thing as “just a friend”, Milo. Friendship is one of the most important things there is. […] I hate it when people talk like friendship is less than other kinds of—as though it’s some sort of runner-up prize for people who can’t have sex. I had a boyfriend once, but I never liked being with him the way I like being with you.” I held his gaze, refusing to falter or look away. “You’re one of the best friends I’ve ever had, Milo. And that is everything to me.” »
Vingt pages avant la fin, on a encore un passage où elle songe qu’elle pourrait embrasser Milo parce que c’est ce qu’il attend d’elle, mais que ce serait un mensonge. Elle lui ferait croire qu’elle est attirée romantiquement par lui, alors que ce n’est pas le cas.
Et à la toute dernière page, iels se mettent en couple. Minute… quoi ?
Alors, on peut voir ça comme un couple quasiplatonique, où elle n’est pas amoureuse de lui mais aime passer du temps avec lui. Mais comme ce n’est pas précisé, ça donne surtout l’impression que c’est une conversion « insistez assez, elle finira par être amoureuse de vous ! ». C’est dommage…
Il y a un lien avec Ultraviolet, puisque Sebastian va aider Nicki. Ça permet de le voir d’un point de vue différent que le regard énamouré d’Alison, et il est absolument insupportable ! Toujours à « mentir pour protéger », c’est tellement condescendant… Il permet toutefois à Nicki d’en découvrir plus sur sa nature d’alien, et c’est vraiment intéressant, d’un point de vue psychologique.
A part la romance qui surgit de nulle part, la fin de Quicksilver était très satisfaisante : la solution pour triompher est originale, il y a un bon équilibre entre « victoire trop facile » et « victoire avec un prix tragique », et la décision finale de Sebastian, inattendue, était réjouissante car sortant de la catégorie « mièvre, malsaine et inintéressante » dans laquelle j’avais rangé sa relation avec Alison.
Cette duologie de R.J. Anderson était donc très sympa, et j’ai beaucoup aimé le fait qu’elle s’axe sur la psychologie des personnages. Le scénario n’est pas riche en évènements : la tension grimpe au fur et à mesure que la menace se précise, et on a tout le temps d’explorer le ressenti des personnages, leurs doutes, leurs réactions. C’est ça que je recherche dans un livre : accrocher aux personnages, me poser des questions sur l’humanité… Ultraviolet nous offre en plus un retournement de situation très bien amené, et la résolution de Quicksilver est originale. Les bonnes idées s’enchainent et on sort des sentiers battus !
Avertissements : internement forcé en hôpital psychiatrique, crises de panique, baiser non consenti, incendie, validisme médical, psychophobie intériorisée, relation amoureuse malsaine (situation de pouvoir), cisnormativité, esclavage, personne utilisée comme cobaye sans son consentement, bras coupé sans anesthésie, abus de pouvoir d’un policier
2 réflexions sur « Duologie Ultraviolet de R.J. Anderson »