Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il y ait – encore – une suite à Percy Jackson, mais quand le premier tome de Les Travaux d’Apollon est sorti, je me suis empressée de le lire. J’étais ravie de retrouver la narration à la première personne, centrée autour d’un seul personnage, surtout que c’était le dieu Apollon ! Puni par Zeus, il est envoyé sur Terre en tant que mortel. Sa narration était très différente de celle de Percy : il est arrogant, égocentrique et toujours en train de se plaindre, une vraie drama-queen.
« En revanche, je savais une chose avec certitude : mon châtiment était injuste. Zeus avait eu besoin d’un coupable, alors bien sûr il avait fait porter le chapeau au dieu le plus beau, le plus talentueux et le plus aimé du panthéon : moi. »
Heureusement, tout ça est pris au second degré, alors au lieu de m’énerver de ces traits que je trouve d’ordinaire horripilants, j’étais pliée de rire. Au service de Meg, fille de Déméter, Apollon doit libérer les cinq oracles afin de retrouver son immortalité et sauver l’avenir de l’humanité.
Au début, j’étais vraiment enthousiasmée par le fait qu’Apollon soit un mortel. Les pouvoirs, c’est stylé, mais je suis encore plus impressionnée par les personnages qui s’en sortent sans magie alors que leurs adversaires en ont. Rachel qui jette une brosse à cheveux sur le seigneur des titans, par exemple, ou Annabeth qui doit faire preuve de ruse. Sans doute parce que je n’ai pas de pouvoirs magiques moi-même !
Si au début Apollon semble totalement dénué de capacités, il retrouve cependant vite son don pour le tir et pour charmer ses adversaires avec de la musique. Une occasion manquée, mais les solutions trouvées à chaque obstacle restent inventives.
De plus, contrairement à Héros de l’Olympe, l’histoire ne se disperse pas en péripéties superflues, ce qui permet de garder leur individualité. Surtout que Rick Riordan commence à arriver à court de mythes à moderniser ! Affronter les Pandai dont personne n’a jamais entendu parler, ça en jette quand même moins que de faire face au célèbre Minotaure. Alors qu’Héros de l’Olympe avait su présenter un nouvel univers qui m’avait embarquée, celui des romains, ici il n’y a pas de nouveauté majeure. On fait face à trois des empereurs romains les plus cruels et c’était l’occasion de redécouvrir quelques morceaux d’Histoire, mais ça n’est pas aussi riche.
Ce qui a fait pour moi tout l’intérêt des méchants, c’est leur relation avec les personnages principaux. L’un des empereurs est l’ex d’Apollon – je trouve d’ailleurs que le scénario aurait pu jouer davantage dessus, peut-être explorer une éventuelle relation toxique, et une comparaison avec l’attitude d’Apollon envers ses amant·es ? – et un autre est le père abusif d’une alliée d’Apollon, qui fait aussitôt un parallèle avec son propre père. Psychologiquement, ça fonctionne super bien : on voit les mécanismes d’abus et le personnage n’a pas besoin d’en faire grand-chose pour être effrayant.
Les interactions entre héros·ïnes et antagonistes jouent beaucoup dans mon appréciation d’une histoire, et j’étais à fond dans l’aventure d’Apollon, investie dans chaque dialogue, ressentant une myriade d’émotions à la fois. Peur, colère, frustration bien sûr car se tirer d’une relation toxique est tellement dur… cette série renoue avec l’humour et le suspense de la première, et y ajoute une dimension émotionnelle qui m’a happée.
A la fin du tome 1, j’étais dévorée par l’envie de lire la suite, qui n’était pas publiée ! Pour ne pas subir cette frustration quatre fois, j’ai résolu d’attendre que tous les tomes sortent avant de les lire d’un coup.
Le tome 2 est sorti. J’ai tenu ma résolution.
Le tome 3 est sorti. J’ai tenu ma résolution.
Sauf que, même si je restais loin de la série, je continuais de lire des fanfictions. Et le résumé de l’une d’entre elles m’a spoilé un évènement majeur du tome 3. Jamais je n’aurais imaginé que Rick Riordan puisse écrire une idée pareille ! Ayant lu seize de ses romans, je commençais à le connaître un peu, et je pensais savoir s’il avait tendance à tuer ses personnages, à les mettre en couple, à leur briser le cœur, ce genre d’idée générale.
Cette idée était tellement originale et inattendue qu’il fallait que je voie ce que ça allait donner, et je n’ai alors pas pu m’empêcher de lire les tomes 2 et 3.
Je suis tellement, tellement contente d’avoir été spoilée ! Le plot twist concerne un personnage auquel je n’étais pas particulièrement attachée, et savoir ce qui allait se produire m’a poussée à m’intéresser à lui. J’ai été frappée de plein fouet lors du retournement de situation !
Ce ressort scénaristique permet également d’établir l’évolution d’Apollon qui, au cours des tomes 2 et 3, se penche sur le sens de la vie et de la mort. En tant que dieu immortel, il a toujours considéré que la vie était ce qu’il y avait de plus précieux. Il est confronté à deux chasseresses qui ont renoncé à l’immortalité pour pouvoir être en couple, vivre ensemble et élever leur fille ; il voit de nombreuses personnes risquer et sacrifier leurs vies pour sauver celleux qui leur sont chèr·es, et finit par être lui aussi prêt à faire de même. C’est une évolution logique et nécessaire qui donne lieu à des conversations intéressantes, même si ce ne sont pas des sujets qui me préoccupent beaucoup. On ressent les changements d’Apollon dans la narration : il y a de moins en moins de blagues sur son égocentrisme et son arrogance, parce qu’il commence à se remettre en question.
Après le tome 3, j’ai tenu ma résolution et j’ai attendu la sortie du 5 pour tout relire – je dis bien tout, je vous parle ici de mes relectures de Percy Jackson et Héros de l’Olympe – et j’ai ensuite entamé le tome 4.
Celui-ci était beaucoup plus intéressant sur le plan moral, puisqu’Apollon fait enfin face à ses erreurs, demande pardon et s’engage à devenir une meilleure personne. C’était une évolution présente en filigrane dès le début : devenu humain, Apollon voit la façon dont les mortel·les sont traité·es par les déités et reconnait volontiers avoir fait de même. Mais bon, il était un dieu, il avait tous les droits, et il souhaite en redevenir un au plus vite.
Suite au tome 3, il comprend en quoi la vie est précieuse, et prend enfin conscience des conséquences de ses actes. Il est ensuite confronté à des personnes auxquelles il avait fait du mal : ceux qu’il avait changés en corbeaux après avoir fait tuer son amante enceinte, la femme qu’il avait maudite parce qu’elle refusait de sortir avec lui… oui, Apollon n’est pas un type super, et c’est parfois étrange de réconcilier ces faits-là avec sa personnalité présente. Cette dissonance est traitée avec légèreté ; après tout, le message n’est pas qu’un meurtrier a besoin d’une deuxième chance, mais plus généralement, ce livre est un guide sur comment devenir une meilleure personne. Avec de la mythologie pour enrober le tout !
« Je me suis demandé… et si mon propre père, Zeus, m’apparaissait, ici et maintenant, et me proposait de me ramener à l’Olympe, quel prix serais-je prêt à payer ? Abandonnerais-je Meg à son sort ? Laisserais-je tomber les demi-dieux, les satyres et les dryades qui étaient devenus mes camarades ? Oublierais-je tous les sales coups que m’avait fait Zeus au fil des siècles, en ravalant mon amour-propre, rien que pour récupérer ma place à l’Olympe, sachant très bien que je serais toujours sous sa coupe ?
J’ai chassé de mon esprit ces questions. Je n’étais pas sûr de vouloir connaître les réponses. »
Le tome 5 est celui qui se consacre le plus à la santé mentale, puisqu’on affronte l’empereur abusif, avec un parallèle réussi à la relation entre Zeus et Apollon. Pour moi qui commence à avoir pas mal lu sur le sujet, ça manquait parfois de subtilité : la narration explique chaque technique de manipulation employée. Mais je pense que pour le public cible c’est bien d’être aussi clair. Les mots sont posés – c’est la première fois que je vois le terme gaslighting employé dans un roman. Pareil pour le syndrome de stress post-traumatique qui est évoqué.
Seulement, depuis le début, ces trois séries sont psychophobes, et même dans ce tome qui parle de santé mentale explicitement, c’est toujours le cas. J’avais eu beaucoup d’espoir dans le tome 2, où l’un des empereurs, retenu par l’Histoire comme un « empereur fou », est explicitement décrit comme ne l’étant pas. Il est cruel, et c’est différent. Il faut arrêter les parallèles entre dangereux/méchant/cruel et la folie. C’est une association qui est trop souvent faite dans les médias : dès qu’on parle d’un crime spectaculaire, les journalistes affirment aussitôt que le coupable est fou alors qu’on n’en sait rien. Dans la réalité, les personnes avec des maladies mentales sont dix fois plus susceptibles d’être victimes de violences, et les clichés sur leur prétendue dangerosité n’améliorent pas la situation.
C’est donc vraiment dommage que Les Travaux d’Apollon continue d’associer comportement excessif et méchanceté avec folie.
La série fait pourtant des efforts. C’est un peu maladroit, comme quand Apollon nous sort des maximes qui semblent directement sorties d’un « guide du bon allié », mais si ça peut donner des directives aux lecteurices, tant mieux. Parfois, j’ai l’impression que c’est une intervention de dernière minute : l’auteur avait écrit quelque chose de moyen, s’en est rendu compte, et au lieu de supprimer il signale juste que c’est pas top ? Je ne suis pas convaincue que ce soit une bonne idée.
On a aussi assez de représentation LGBTI+ pour que je n’aie plus l’impression que l’auteur coche des cases. J’attendais avec impatience la révélation que Reyna était asexuelle, ce qu’on m’avait « spoilé » − je ne considère pas que les orientations sexuelles sont des spoilers – mais finalement ça ne m’a pas marquée.
En tant qu’écrivaine, j’admire la manière dont Rick Riordan a poursuivi Héros de l’Olympe à travers Les Travaux d’Apollon. A ma connaissance, cette suite n’était pas prévue, mais il parvient à s’appuyer sur des phrases insignifiantes des séries d’avant pour que certains éléments ne sortent pas de nulle part. Par exemple, dans le tome 3 de Percy Jackson, le méchant révèle avoir des appuis très riches dont on ne découvrira jamais l’identité… avant Les Travaux d’Apollon où on explique que ce sont en fait les empereurs.
Dans Héros de l’Olympe, Reyna avait reçu une prophétie sur sa vie amoureuse, et vu la formulation, il me semble très improbable que Rick Riordan ait prévu son asexualité. Par une pirouette habile, la prophétie s’insère sans incohérence dans cette nouvelle narration, bien joué !
Mais en tant que lectrice, ça passe moins bien, car on dirait juste un détour inutile. S’ajoute à ça le fait que personnellement, au vu de ses explications, Reyna avait plutôt l’air aromantique… mais d’après l’auteur elle est asexuelle. C’est assez confus…
Quand j’avais écrit mes articles sur les séries précédentes, j’étais étonnée de voir à quel point je pouvais décortiquer leurs défauts longtemps. Ici, je n’ai pas grand-chose à reprocher à Les Travaux d’Apollon, je suis pinaille juste sur des détails… et pourtant, il m’a manqué quelque chose. La série est excellente, mais… oui, voilà. Les relations entre les personnages.
C’est peut-être LA chose qui m’a fait aimer Percy Jackson : le fait de ressentir les liens qui s’établissent entre les personnages, d’avoir l’impression qu’ils pourraient être mes amis. Et ici, ça n’a pas été le cas. Les personnages des histoires précédentes participent à tour de rôle dans les tomes, j’avais hâte de les retrouver ! Mais ils fonctionnent surtout parce qu’on les connait déjà, et je n’ai pas ressenti de connexion particulière entre Apollon et eux. Ça se ressent bien avec Will, puisque c’est un personnage qu’on connaissait très peu des tomes d’avant, et à la fin des Travaux d’Apollon, je n’avais pas l’impression de le connaitre davantage.
Avec Les Travaux d’Apollon, on sent qu’on arrive au bout de tout ce qui peut être extrait de l’univers gréco-romain, ainsi que des personnages auxquels on s’est attachés. Cependant, mon intérêt a été maintenu tout du long grâce à un narrateur original et attachant. Il permet d’aborder des thèmes complexes qui m’ont touchée et m’ont fait réfléchir. Ainsi s’achève ma saga préférée… j’ai un peu de mal à en prendre conscience : cet univers et ces personnages m’ont tellement inspirée, et accompagnée toute ces années ! Même si c’est la fin des tomes, je sais que pour moi, l’aventure continue…
Avertissements : relations abusives, gaslighting, violence générale, psychophobie
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