Ça me fait plaisir de trouver de plus en plus d’albums qui parlent de non-conformité de genre ! J’ai ait déjà présenté plusieurs dans des articles précédent : Le Fleuve, Buffalo Belle, Julian est une Sirène, L’histoire de Julie qui avait une Ombre de Garçon, L’enfant de Fourrure, de Plumes, d’Écailles, de Feuilles et de Paillettes. Dans cet article, je vais vous parler de six autres albums qui bousculent les normes de genre.
J’ai peu entendu parler de Ma Maman est Bizarre et c’est bien dommage, car c’est un excellent album.
Une petite fille nous y décrit sa maman qu’elle adore, mais dont une amie lui a dit qu’elle était bizarre. Quelques-unes de mes pages préférées :
Il y a beaucoup d’humour, on est vraiment dans la tête d’une petite fille. Les tatouages sont des « dessins », la danse contemporaine, c’est « se rouler nue par terre en criant ».
Les dessins ne sont pas tout à fait à mon goût, et j’ai trouvé la manière dont se mêlent humain·es et animaux humanoïdes pas toujours organique. Cependant, le tout est d’un réalisme appréciable.
Réalisme ? Alors qu’animaux et humain·es se mêlent ? Je veux dire par là que je pouvais reconnaitre les scènes comme sorties du monde réel ; par exemple, sur la double page où elles se rendent en manif, le style vestimentaire comme les pancartes collent parfaitement avec mon expérience.
J’ai beaucoup apprécié qu’on nous présente un personnage très clairement queer, sans pour autant la mettre en couple avec une autre femme pour « prouver » qu’elle est queer, ou sans avoir de longues explications sur la transidentité. On voit que cette maman est queer à travers le quotidien, et ça me parle.
En bref, un album qui fait du bien !
Dès que je l’ai ouvert, cet album m’a vraiment fait penser à Heu-Reux de Christian Voltz : on y retrouve l’écriture dramatique, avec des mots plus gros que d’autres, des interjections en diagonales, des lettres en couleurs, ainsi que l’aspect très « texturé » des dessins : on a l’impression que c’est un collage. Je trouve également l’humour similaire, avec le caractère ridicule du père qui pousse son fils vers la normalité.
Lors du carnaval, Ours veut porter un costume de Boucle d’Ours, avec une jupe à pois et des couettes blondes : pour son père, c’est impossible.
J’aime vraiment les albums que je peux m’imaginer lire à voix haute. Partager mes lectures est un tel plaisir ! Et ici, c’est tellement facile de donner des intonations rigolotes aux dialogues, puisque le texte est déjà tout en relief. On a également un aspect de ritournelle, avec Ours qui, à chaque proposition de son père, répète qu’il veut un costume de Boucle d’Ours. On pourrait lui donner une intonation de plus en plus agacée à chaque répétition, ou de plus en plus désespérée, ou boudeuse, ou rebelle : il y a de quoi jouer avec le texte.
Non seulement les costumes sont genrés, mais les costumes masculins sont également violents : le grand méchant loup qui dévore la grand-mère, un boucher avec son couteau… il n’y a qu’à la toute fin que le père commence à proposer des costumes masculins qui ne soient pas agressifs.
On peut également noter que la volonté de son fils et de sa femme ne suffisent pas à le fléchir : c’est l’intervention de quelqu’un de plus fort que lui qui le convainc. Comme quoi, c’est la menace qui marche, pas les demandes gentilles…
Boucle d’Ours est un album très rigolo que j’adore partager, et qui se prête à une analyse fine des normes de genre.
J’ai lu juste après Thomas et La Jupe, sur un sujet similaire, et cet album souffre en comparaison ! On y suit Thomas, qui n’aime pas les activités masculines et se fait maltraiter par les autres garçons, jusqu’à ce qu’il trouve des alliées. Ce n’est pas mauvais, mais c’est un peu terne… et c’est important que les œuvres qui souhaitent faire passer un message donnent envie d’être lues !
Et justement, j’ai adoré l’album Le Rouge à Lèvres. L’histoire est toute simple : le héros se met du rouge à lèvres, et, ravi de se trouver beau avec, décide d’en décorer toute la maison. C’est super mignon et hilarant, et j’ai beaucoup aimé le côté décomplexé autour du fait qu’il mette du rouge à lèvres : ce n’est pas un sujet. Ça lui va si bien !
C’est tout à fait le genre d’albums que j’aime, et que j’adore lire à voix haute. J’imaginais très bien la voix de la narration dans ma tête, et les images l’accompagnaient à la perfection.
Cependant, il a moins plu à mon entourage, plus pragmatique. Beaucoup étaient horrifié·s à l’idée des dégâts que l’enfant faisait avec le rouge à lèvres ! J’avoue que je n’ai pas imaginé une seule seconde la situation dans la réalité, et qu’elle ne m’a donc pas du tout choquée.
Tant mieux pour moi, car j’ai alors pu passer un excellent moment de détente et de rigolade.
Princesse Kevin est un album qui, comme Boucle d’Ours, traite d’un enfant qui veut porter des robes alors qu’il a été assigné garçon. Cependant, au lieu de développer une unique scène, on a un récit plus long qui s’intéresse à ce que pense Kevin de sa tenue, ce qu’il trouve pratique ou non, la réaction de ses camarades de classe.
Je n’ai pas trop aimé les dessins, mais c’est un album qui se lit bien et qui contribue à faire bouger les normes, sans qu’il ne soit lourd ou que le ton soit particulièrement pédagogique pour autant. Et j’ai adoré le petit twist final.
J’ai acheté cet album dès sa sortie car j’apprécie beaucoup le travail artistique et militant de l’illustrateur·ice. On y découvre la journée de Julie, petite fille trans qui se prépare à sa rentrée.
J’ai trouvé le texte assez banal, très tourné sur le récit de ce qu’elle ressent et ce qu’elle fait. C’est un album qui est, quelque part, un roman très court et illustré, ce qui n’est pas ce que je préfère. Je n’aime pas les nouvelles, je n’aime pas les romans courts : je n’apprécie les œuvres centrées sur l’histoire que lorsqu’elles sont longues. Comme vous avez pu le constater dans cet article, ce que j’aime dans les albums, c’est l’humour, les jeux de langue, le côté mise en scène, la narration très différente, ce que je n’ai pas du tout trouvé ici.
En revanche, j’ai beaucoup aimé les illustrations, et le fait qu’on a des scènes différentes presque à chaque page. Ça permet de voir Julie de plein de contextes différents, et ainsi, de voir qu’une personne trans ne se limite pas à sa transidentité : elle a plein de facettes.
Pour finir, je souhaite présenter un album dans le format que j’ai dénigré tout au long de cet article – et dans mon article sur l’homoparentalité –, j’ai nommé : Fille, Garçon, un album pédagogique. Son principe est de déconstruire, page après page, les normes de genre. Une fille peut être princesse… ou chevalier. Un garçon peut épouser une fille, ou épouser un garçon. Etc, etc.
Ce qui m’a vraiment plu dans cet album est sa mise en page : il est très ludique, et chercher la suite du récit est une sorte de jeu de piste. Il faut déplier un rabat, soulever une spirale, retirer un cache. Il aborde de multiples thèmes de manière simple – le métier, la famille, l’amour, l’amitié, le genre, le consentement – et vraiment, je n’ai rien à redire, à la fois sur la formulation et sur l’exhaustivité des thèmes. Il aurait pu se contenter de parler de genre. Le fait qu’il aborde aussi le consentement – « fille ou garçon, j’ai le droit de dire non » − et l’amitié – on a le droit d’être ami·e entre filles et garçons – est très important à mes yeux.
Je peux me sentir fille dans un corps de garçon, et inversement. Ou me sentir ni fille ni garçon. Ou un peu des deux.
Malgré la qualité de son texte, c’est un album qui m’aurait peu passionnée s’il n’avait été aussi ludique par sa mise en page. La forme, ça compte pour transmettre un message ! Je l’ai trouvé super sympa à lire, que ce soit seule, ou en demandant à d’autres gens de déplier les illustrations. Comme quoi, il peut y avoir de la pédagogie de qualité.
J’écris cet article juste après celui des femmes trans dans les mangas : le constat est beaucoup plus optimiste et me redonne le moral ! C’est chouette de voir qu’il existe tant d’albums – 12 en français ! – pour aborder les questions de genre. J’espère qu’un jour, ça ne sera plus considéré comme un tabou !