On m’avait conseillé La Cinquième Saison de N.K. Jemisin à plusieurs reprises, mais j’ai dû le confondre avec d’autres conseils puisque j’étais convaincue que ça se passait dans l’espace, avec une personne venant d’une société non-genrée qui découvre les humains.
En fait, pas du tout : on a trois histoires qui s’alternent selon les chapitres. Alors qu’un tremblement de terre fracture la pangée, déclenchant la cinquième saison – un hiver prolongé qui arrive en cas de catastrophe climatique – Essun découvre que son mari a tué son fils et enlevé sa fille. La jeune Damaya est enlevée pour ses capacités à bouger la terre – l’orogénie – et Syénite, orogène accomplie manipulée par le Fulcrum, se voit assigner un mentor qui la pousse à se rebeller.
Au début, c’était difficile d’accrocher au style : même s’il y a souvent des phrases génialissimement formulées, il y a plein de vocabulaire nouveau et les chapitres d’Essun sont écrits à la deuxième personne. De plus, l’alternance des personnages m’empêchait de me plonger dans l’histoire. Mais c’était intéressant et je m’habituais à la narration étrange, de plus en plus prenante. Seulement, j’ai fait une pause d’environ deux semaines pour lire des livres que je devais rendre d’urgence, et du coup, en reprenant, j’étais encore plus perdue qu’avant. Notamment, je n’avais aucune idée de l’époque à laquelle se déroulaient les histoires de Damaya et Syénite.
Je pensais que c’était juste moi, mais en fait, cette temporalité trouble est voulue et mène à des révélations intéressantes. Non, plus qu’intéressantes : j’étais ahurie. Tout faisait brusquement sens, tous les indices avaient été là, et quelques pages avant que la révélation ne survienne, j’avais commencé à la pressentir. A me dire « non… ce serait incroyable si… » Eh oui, c’était le cas ! C’est super bien fait, très subtil, comme si le livre lisait mes pensées, me guidait, s’adaptait à ma compréhension pour ne jamais rien me dire que je ne sache déjà, et me pousser à réfléchir tout au long de l’histoire, à comprendre toute seule.
Alors que le début avait été laborieux, à partir de la moitié, et de cette révélation incroyable, j’étais prise dans l’histoire : je connaissais assez les personnages pour être impatiente de la suite, et l’action était de plus en plus tendue.
Je n’ai attaqué le tome 2, La Porte de Cristal, qu’un mois plus tard, et j’avais peur de ne pas me souvenir des détails. Mais je me suis facilement replongée dans l’univers, qui est d’ailleurs davantage creusé. Quelle est la nature de l’orogénie ? Pourquoi y a-t-il des saisons ? Dans quel camp les mangeurs de pierre se battent-ils, et d’où viennent-ils ?
On m’avait présenté ce roman comme de la SF, je le percevais plutôt comme de la fantasy, mais en fait, c’est à l’intersection entre les deux, et les liens avec notre monde rendent les révélations d’autant plus marquantes. C’était époustouflant : l’histoire mettait mes conceptions sens dessus-dessous toutes les cent pages.
J’avais l’impression de le lire lentement : ce n’est pas une lecture facile, je devais rester très concentrée et je faisais de nombreuses pauses. Mais alors que j’en étais vers la moitié, j’ai perdu mon marque-page. En cherchant l’endroit où j’en étais, je me suis rendue compte que mine de rien, j’avais dépassé les trois quarts ! Le rythme s’était accéléré et j’avais avancé sans y réfléchir.
On suit surtout Essun, intégrée dans une nouvelle communauté, et sa fille Nessun qui découvre l’orogénie. Quand j’y pense, le scénario parait simple : Essun apprend une nouvelle forme d’orogénie, Nessun aussi, et c’est tout… sauf que toutes les informations qu’on découvre sur l’orogénie nous bouleversent, marquent les personnages, et le roman est rempli d’action – quoique pas sous sa forme la plus classique, puisqu’il s’agit plus de bouleversements intérieurs.
Et comme pour le tome 1, la fin, magistrale, nous pousse vers le volume suivant. Un tome 3 dont je ne dirais rien, si ce n’est qu’il est tout aussi extraordinaire que les autres. Cette trilogie propose un univers complexe, et une histoire qui l’est tout autant. Ces livres ne nous expliquent pas tout en détail, mais nous laissent comprendre, et chaque révélation est renversante. On se rend compte que tout ce qui nous intriguait avait un sens, et à chaque fois, je n’en revenais pas.
Il reste des zones d’ombres, des éléments que je n’ai pas compris, ou que je n’ai pas réussi à agencer pour avoir un tableau global. Même si ça ne sera pas tout de suite, car c’est une lecture exigeante, je sais que je relirai cette série pour tout relier, et pour repérer les indices qui m’ont échappé.
Généralement, je qualifie la représentation dans les romans, mais pour celui-ci, je l’ai à peine remarquée tant elle est intégrée dans l’histoire. Les personnages trans, gay, bis sont là, sans que ce soit expliqué ou présenté comme étant différent, la couleur de peau des personnages est évoquée en passant, la relation polyamoureuse est celle sur laquelle les personnages s’interrogent le plus, mais elle a lieu avec un naturel déconcertant. Si le livre parle beaucoup de discrimination, c’est à propos des orogènes.
Je ne m’y connais pas très bien en science-fiction, mais les Livres de La Terre Fracturée changent de tout ce que j’ai lu jusqu’ici. Ce n’est pas une lecture facile, le début du tome 1 est particulièrement long, mais ensuite, il m’a retourné le cerveau – et j’en redemandais !
Avertissements : mort d’enfants, torture, meurtres brutaux, esclavage, génocide, viol
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